Le Musée des femmes assassinées by Maria Hummel

Le Musée des femmes assassinées by Maria Hummel

Auteur:Maria Hummel
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions Actes Sud
Publié: 2020-12-22T10:02:10+00:00


15

Dans l’heure qui suit, je mens à trois reprises.

Tout d’abord à Jayme, qui veut savoir quels ragots de coulisse j’ai collectés au sujet de notre rapport an­­nuel :

— J’ai fait quelques interviews. Et j’ai déjà terminé la critique d’Evie.

Ensuite je mens à Kaye, qui m’interpelle avec des intonations de vengeance dans la voix dues sans doute à mon comportement d’ivrogne lors de sa soirée post-cancer. Elle n’arrive pas à croire qu’ils ont arrêté Shaw, et elle cherche à savoir comment j’encaisse le coup, c’est tellement dingue, il y a donc vraiment un tueur en liberté et, oh, mon Dieu, elle ne peut pas obtenir de ticket pour l’expo avant trois semaines, est-ce qu’il n’y aurait pas moyen que je les fasse entrer en douce, elle et deux de ses amies, aussi survivantes ?

— J’aimerais bien, dis-je, et je bredouille une excuse en rapport avec l’officier des pompiers qui compte les gens dans les salles. La semaine prochaine ?

Puis je mens à la vérificatrice d’infos d’ArtNoise qui me contacte à propos de l’article de Kevin :

— Je suis en réunion, là, mais faxez-moi l’article et j’y jetterai un œil.

Je raccroche alors qu’elle proteste encore.

Enfin je dis la vérité à Phil et Spike, parce qu’il est impossible de raconter des histoires à deux hommes adultes qui portent des pulls marins, se coiffent de perruques à la Andy Warhol et se promènent avec des sitars.

— On a joué dans la rue aujourd’hui, annonce Phil. Devine combien on a ramassé ?

— Honnêtement ? Rien.

— On a eu nos quinze cents de gloire, corrige-t-il. Hé, tu pourrais mettre une perruque blonde et faire partie de notre groupe. On s’appellerait Edie Sedgwick and the Andies…

— Maggie est déjà blonde, remarque Spike.

— Ouais, mais pas de la bonne teinte, rétorque Phil.

Je les informe que je ne sais pas jouer du sitar, de toute façon.

— Nous non plus, avoue Spike. Chad nous a donné trois leçons en échange de la conception de ses flyers. Mais il est nul, comme prof.

Chad, comme l’ex-mari de Yegina.

— Affreux, surenchérit Phil en repoussant sa grande mèche warholienne pour dégager son large front. Pas de bon augure pour ses nouvelles affaires.

— Quelles affaires ? dis-je.

— Enseigner la musique à des gosses de riches de Silver Lake. Comme nous, répond Spike.

Il lève une main, son bras fait un moulinet à la Pete Townshend et il frappe les cordes de son instrument.

— Il a débuté un blog musical aussi, explique Phil. Très populaire. Auprès de sa mère.

Il est presque dix heures et je ne me sens pas d’écouter plus longtemps le bavardage des jumeaux. Aussi je feins d’apporter une concentration extrême à mes corrections, jusqu’à ce qu’ils s’éloignent lentement, les instruments battant leur hanche. Quelques secondes plus tard, la chance me sourit : Juanita T. Filippa, le bras droit du directeur, escorte Bas vers l’ascenseur. Elle a son habituel ensemble bleu marine strict et son regard alerte mais dépourvu d’expression, et je me demande ce qu’elle pense des événements récents. C’est une des plus an­­ciennes



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