Le Marquis des Eperviers by Jean-Paul Desprat

Auteur:Jean-Paul Desprat [Desprat, Jean-Paul]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
ISBN: 9782715807013
Amazon: 2715807015
Éditeur: Balland
Publié: 1988-04-14T22:00:00+00:00

Après que les convives eurent quitté la table, la soirée se poursuivit dans le salon où les femmes prirent place sur de moelleuses duchesses brisées tandis que les hommes, installés sur des fauteuils, formaient un cercle à leur chevet.

– Si j’ai bien entendu votre nom, glissa à Victor Saint-Simon que monsieur Davignon avait à dessein installé aux côtés de son neveu, vous êtes l’héritier de la vieille maison de Gironde ?

– Je doute, monsieur le duc, bredouilla le jeune homme, que la renommée de ma pauvre famille ait pu parvenir jusqu’à vos oreilles.

– Détrompez-vous ! je connais mon nobiliaire et tous ceux qui, comme moi, s’intéressent aux plus vieilles races françaises – j’entends par là celles dont la succession est établie depuis le Xe siècle et elles ne sont pas deux cents en France – savent que Gironde compte. Je ne vous ferai pas l’injure de vous rappeler qu’une femme de votre lignée, Géraude de Gironde, si j’ai bon souvenir du prénom, a convolé avec ce Bernardet d’Albret qui était ancêtre à la onzième génération de notre roi Henri IV et que, par là, vous vous trouvez allié à la famille royale…

– C’est exact, avoua Victor, stupéfait des connaissances de son voisin, mais mon père trouvait cette alliance si vaine et si lointaine qu’il ne m’en a jamais parlé qu’avec amusement.

– Ce serait une grave erreur, pour vous qui avez tout à construire, que mésestimer cet avantage, reprit le duc en pointant un index en l’air. Le roi doit vous donner du « mon cousin », tout comme à moi, tout comme il le fait pour les chefs des quelques familles qui se sont par le passé unies à la sienne. Voici un chausse-pied148 facile et – chose remarquable lorsqu’il est question de se hausser – ni déshonnête ni infamant… Je connais bien des jeunes ambitieux, plus nantis que vous, qui rêveraient votre chance.

Victor, entendant pour la première fois le doux grelot de la fortune tinter au-dessus de son avenir, ouvrit de grands yeux.

– Mais comment s’établissent des choses si anciennes ? demanda-t-il sous le charme.

– Elles le sont puisque je les connais ! répliqua Saint-Simon péremptoire, tant que la société sera bâtie sur les honneurs et sur la naissance, tant que la noblesse se verra réserver exclusivement et interdire absolument certaines fonctions, ne point se tenir à son rang tiendra du crime !

– Soyez raisonnable, Louis ! souffla doucement madame de Saint-Simon en couvrant son mari d’un regard indulgent, ne pervertissez pas ce garçon.

Et laissant glisser son regard vers le neveu de ses hôtes dans un gracieux mouvement du cou :

– Il a dû vous parler des positions à ne pas perdre, des privilèges à ne pas laisser s’écorner… À l’entendre, notre société ne vaut guère mieux qu’une troupe de grenadiers rangés par ordre de mérite qui manœuvrerait dans une fosse aux lions.

Victor, qui venait de répondre innocemment au sourire de la duchesse, redevint d’un coup sérieux en voyant le duc se rembrunir.

– Ah ! vous pouvez rire, Gabrielle,

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