Le mal de vérité by Coquio Catherine

Le mal de vérité by Coquio Catherine

Auteur:Coquio Catherine
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Armand Colin
Publié: 2015-08-14T16:00:00+00:00


Le serment performatif. Giorgio Agamben

En 1998, dans Ce qui reste d’Auschwitz, Giorgio Agamben était lui-même parti de la dualité du testis et du superstes, du tiers garant et du survivant, pour élaborer sa « réfutation de la réfutation » à partir de la figure du « musulman » ou de l’englouti comme « vrai témoin » selon Levi. En 2009, explorant cet espace sacré du serment dans Le sacrement du langage. Archéologie du serment, il relit la théorie des performatifs à la lumière de Benvéniste : il y présente la parole « autoréférentielle » du serment comme le reste, dans la langue, d’un stade où « le lien entre les mots et les choses n’est pas de type sémantico-dénotatif, mais performatif, au sens que, comme dans le serment, l’acte verbal avère l’être »44. Le serment use du langage lui-même comme d’un sacrement. Agamben ajoute qu’il ne s’agit pas là d’un « stade magico-religieux » ancien, mais d’une « structure antérieure (ou contemporaine) à cette distinction entre sens et dénotation », et que cette structure est un produit de l’histoire. Agamben n’évoque ici le témoignage qu’à propos de l’antique « appel à témoin des dieux » ou du « témoignage du dieu », qui se poursuit, dit-il, de Cicéron à Benvéniste en passant par Saint-Augustin. Si le témoignage se distingue essentiellement de « l’assertion », c’est par la présence en lui du serment, qui, selon cette doctrine récurrente, « est une affirmation à laquelle s’ajoute le témoignage divin » (p. 54).

La structure performative du serment étant consubstantielle au témoignage, on comprend pourquoi le constant glissement du « témoignage » à la « preuve » n’est pas accidentel, comme le disait Derrida. Ce glissement est dû à la coexistence dans le langage humain de ces deux structures : la performative, propre à « l’acte verbal », et la dénotative, qui ouvre l’espace de la « preuve ». Cette concomitance du sacramentel et du cognitif dans le temps historique nous permet de comprendre la chaîne de paradoxes dont vit le témoignage, et ce qui le sacralise là même où l’expérience historique ne se prête à aucune vérité sacrale. Il faudrait penser ce que devient cet espace sacré du serment quand le survivant doit témoigner de la coupure génocidaire, et donc parler après une certaine destruction du langage humain, de la mémoire et de la vérité. Qu’en est-il du serment, du sacré et du tiers dans la fameuse « crise du témoignage » ?

Ce performatif testimonial lié au serment, qui fait entrer le témoin et son destinataire dans la sphère du sacré, nous aide à comprendre la resacralisation dont le témoignage fait l’objet aujourd’hui, et le succès de ce « passage de témoin ». Mais il devrait aussi nous aider à penser différentiellement le témoignage historique, à saisir la singularité de sa dimension rituelle. Celle-ci ne concerne plus en effet le « témoignage de Dieu ». Les modalités d’énonciation et d’écriture des témoignages de la désappartenance montrent que la crise du témoignage ne détruit pas cette dimension sacramentelle.



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