Le magicien des miroirs by Philipp Vandenberg

Auteur:Philipp Vandenberg [Vandenberg, Philipp]
La langue: fra
Format: epub
Tags: BIB Policier historique
Éditeur: Éd. Librairie Des Champs-Elysées
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

10~ Les deux visages d’une existence

Pendant ce temps, et bien évidemment à l’insu de son père, la vie d’Editha subit un tournant brusque. Nul ne l’eût prévu, elle moins que tout autre. Le Carme s’était suicidé ; cela n’avait guère causé d’émoi ; il avait d’ailleurs été rejeté par son ordre. Mais Editha se sentit accablée par sa faute. Elle erra quatre jours et quatre nuits, dans un profond désarroi, à travers San Paolo et Santa Croce, les deux quartiers qui lui étaient le plus familiers. La nuit, grelottante de froid, elle dormait sous les porches de maisons abandonnées, marmonnant des mots dépourvus de sens, rien que pour entendre le son de sa voix. Le cinquième jour, tenaillée par la faim, elle alla chez les nonnes de Santa Margherita, car elle fût plutôt morte de faim que de retourner à la soupe populaire du Campo San Stefano.

Devant l’église Santa Margherita se pressait une foule de miséreux, surtout des femmes avec des enfants en bas âge, attirés par la nourriture et priant si fort que la place en résonnait alentour. Alors qu’elle se mêlait donc aux mendiants, une main la tira par les vêtements.

« Eh toi, là ! »

Elle se dégagea de la prise et se retourna ; elle reconnut le roi des mendiants, Niccolo, il Capitano.

« Que fais-tu ici, toi ? s’enquit-il.

– Je suppose que je souffre de la même faim qui te mène ici, toi aussi », répondit-elle avec un sourire amer. Il la dévisagea d’un œil inquisiteur. Elle se mit les mains sur le ventre.

« Je n’ai rien mangé depuis quatre jours. Tu connais cette sensation.

– Je la connais, certes, rétorqua le Capitano. Mais je me demande seulement pourquoi toi tu es ici.

– Pourquoi, pourquoi ! » s’écria Editha, excédée.

Leurs échanges s’interrompirent parce qu’ils étaient parvenus devant les deux nonnes qui distribuaient du pain, de l’eau et des écuelles de bois remplies d’une bouillie de millet et de blé qui fumait dans l’air automnal.

Le roi des mendiants et Editha s’assirent sur les marches du portail latéral de l’église. La jeune fille mangeait avec une telle avidité que Niccolo en était stupéfait.

« Ton bonheur t’a-t-il donc échappé ?

– Tu appelles cela le bonheur ? rétorqua Editha indignée en posant son écuelle vide sur une marche. J’ai mieux mangé et dormi en d’autres lieux. »

Le roi des mendiants se leva, la saisit par les épaules et la secoua comme s’il voulait la réveiller. « Eh ! cria-t-il de toutes ses forces. Les événements des derniers jours semblent t’avoir échappé ! Et pourtant ils te concernent toi la première ! »

Elle ne comprenait pas où ce vieillard voulait en venir et elle le repoussa. « Tu as visiblement bu ! Laisse-moi tranquille avec tes histoires confuses. Dans l’état où je suis, plus rien ne m’amuse. »

La face de Niccolo s’assombrit. Sa voix devint grave.

« Ta maîtresse Ingonde Doerbeck et son serviteur ont été condamnés à mort par le Conseil des Dix. Hier ils ont été exécutés. Et quand le bourreau a

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