Le Livre de Perle by Timothée de Fombelle

Auteur:Timothée de Fombelle [de Fombelle Timothée]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Gallimard
Publié: 2014-11-02T16:00:00+00:00

19

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Sous les amandiers

Joshua Iliån Perle ne se rendit pas tout de suite à Paris.

Il resta d’abord six mois en zone libre, dans un village de Provence. Il craignait que la police allemande l’attende devant la boutique de la Maison Perle. Il fallait se faire oublier après son évasion.

Joshua arriva chez Thérèse Pilon, le premier dimanche de mars. En prenant la grande allée vers la maison, il eut l’impression que les amandiers fleurissaient sous ses yeux. Il faisait beau. Les troncs se tordaient pour présenter toutes leurs faces au soleil.

Il n’était venu à cet endroit qu’une seule fois. C’était pendant son premier hiver sur cette terre, entre deux nuits passées dans le train.

La ferme Pilon était l’unique fournisseur en amandes de la Maison Perle depuis la fin du siècle précédent. Les guimauves aux morceaux d’amande faisaient fureur. On disait que la cuisinière d’un célèbre homme politique en achetait un kilo chaque début de mois. Et Mme Perle jurait qu’elle avait vu l’acteur Jean Gabin entrer dans le magasin déguisé en chauffeur pour ne pas être reconnu.

Depuis ce jour, quand un client passait la porte, M. Perle s’amusait à demander à sa femme si ce n’était pas le fantôme de la reine Victoria déguisé en cordonnier ou en commis. Mais Esther Perle promettait de plus belle :

– J’ai vu Gabin jouer au Louxor-Pathé. Jaloux ! Fais donc confiance aux dames pour se souvenir des beaux garçons.

Un jour d’hiver, donc, Jacques Perle avait chargé le petit de faire le voyage vers le sud pour une caisse d’amandes supplémentaire, afin de ne pas tomber en pénurie avant les fêtes.

C’était la première fois que Joshua quittait Paris. Il découvrit, en une seule échappée, la magie du voyage en train et les collines couvertes d’amandiers sous la neige.

En passant la frontière pour revenir en France, après ses deux années de captivité, il pensa tout de suite à ce refuge.

Thérèse Pilon reconnut de très loin le visiteur qui marchait au milieu du nuage de fleurs. Elle était à sa fenêtre. Elle posa la bouilloire sur le poêle et alla se poster au soleil devant la porte.

– Si c’est pour des amandes, vous allez devoir attendre un peu.

Le jeune homme était à vingt mètres d’elle, près du puits. Elle parlait fort et montrait de la main les champs d’amandiers. On était début mars. Les fleurs ne donneraient pas de fruits avant l’été.

Mais Mme Pilon avait tout de suite compris que le garçon ne venait pas pour les amandes. Elle lui fit signe de venir s’asseoir sur la pierre du seuil. Elle disparut et revint avec deux tasses de chicorée.

Il ne parlait toujours pas. Elle s’assit à côté de lui.

– Ils ont du retard en bas pour finir les vignes. Tu pourras les aider à tailler les prochains jours. Et puis, dans un mois, il y aura tout le travail qu’il faut ici. On dit que c’est la zone libre, mais c’est aussi la guerre comme là-haut.

Il regarda autour de lui.

– Vous êtes seule ?

Thérèse s’approcha légèrement et battit des cils comme s’il lui faisait une proposition.

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