Le grand n'importe quoi by J.M. Erre

Auteur:J.M. Erre [Erre, J.M.]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantasy / Science-Fiction
Éditeur: Buchet-Chastel
Publié: 2016-02-10T23:00:00+00:00

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Extrait de L’Incroyable Révélation, par le Grand Joël, aux éditions Bételgeuse (2042)

Dans la préface de sa pièce Cromwell, Victor Hugo présente sa fameuse vision du sublime et du grotesque. À rebours d’une littérature classique privilégiant le sublime – l’héroïsme, l’esprit, l’honneur, tout ce qui fait la grandeur de l’être humain –, Hugo cherchait à rapprocher la littérature du réel en donnant toute sa place au grotesque qui illustre la dimension comique, triviale, extravagante ou ridicule de l’existence.

Ce même Victor Hugo était un spirite convaincu. Il faisait tourner les tables lors de son exil à Jersey et prétendait avoir conversé avec Dante, Shakespeare et Jésus-Christ. L’un des génies de la littérature croyait en l’existence des esprits. En l’existence des Autres. Mais il s’agit d’un pan de sa vie qu’on préfère passer sous silence tant il perturbe les repères, tant le sublime Hugo paraît alors grotesque aux esprits « éclairés ».

Le XXe siècle ira plus loin dans cette réflexion sur la réalité de la vie humaine en forgeant le concept d’absurde qui entretient des liens étroits avec le grotesque. Mais là où le grotesque vient en contrepoint du sublime, l’absurde engloutit tout et réduit le monde à l’absence de sens. L’absurde tel que le définit Albert Camus dans son essai Le Mythe de Sisyphe, c’est le sentiment qui naît lors de la douloureuse confrontation entre le désir de cohérence de l’être humain et l’incohérence du monde qui l’entoure.

De Franz Kafka à Samuel Beckett, romanciers et dramaturges ont mis en scène des personnages prisonniers d’un présent absurde et accumulant les actions grotesques pour tenter de donner une cohérence au monde, comme Joseph K. luttant pour savoir de quoi il est accusé dans Le Procès, comme l’arpenteur cherchant par tous les moyens à pénétrer dans un château inaccessible, ou comme Vladimir et Estragon, clowns tragiques attendant en vain l’arrivée d’un Godot dont on ne saura jamais rien.

Ces personnages font l’expérience du bizarre, de l’invraisemblable, de l’irrationnel, du risible, et révèlent de la façon la plus frappante l’absurde qui est au cœur de la condition humaine. Car quoi de plus dément que l’histoire de l’humanité avec cette succession sans fin de guerres et de carnages, ces empires brillants qui s’écroulent lamentablement, et ces religions qui prêchent l’amour par la violence ? Et quoi de plus insensé que la vie de l’homme, avec tous ses efforts depuis la naissance pour s’arracher à son animalité, pour se civiliser, se cultiver, s’enrichir ? Tout ça pour terminer vieillard dans la situation de départ : sans mémoire, sans langage, sans autonomie, comme un nourrisson, avec la mort pour seule ligne de mire.

La révélation de l’absurde fait s’écrouler les décors qui structurent nos vies, annihile toute illusion et nous met face à nos existences vides de sens.

Vides de sens pour nous, mais pas pour les Autres. Ceux qui ont décidé, dans un but bien précis, que nos vies seraient absurdement grotesques. Ceux qui nous ont longtemps fait croire que nous étions les créatures du Grand Architecte de l’Univers.

Alors que nous sommes les enfants du Grand n’importe quoi.

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