Le Gorille - 45 - Irish Micmac by Dominique Antoine

Auteur:Dominique, Antoine [Dominique, Antoine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Espionnage
Publié: 2017-12-20T19:29:47+00:00

CHAPITRE X

Toinon somnolait dans son coin. Le va-et-vient incessant des convives le fatiguait. Bien sûr, il était sensible au côté picaresque de ces personnages plus ou moins légendaires, mais au fond de lui-même, il trouvait cela bougrement rétro. Quand Paulo faisait passer de la pop dans ses enregistrements au maxi, c’était le rock décadent ou les Rolling Stones. En somme ces réunions « harmoniques » voguaient sur des histoires de campagnes fumeuses et éthyliques. Finalement il y avait été un petit peu fort sur le bouteillon à tuer le temps mort.

Léa le réveillait parfois dans le songe éveillé qui l’hypnotisait sur son verre. Il avait du mal à contenir ses tics qui le reprenaient : les projections instantanées, les déplacements de ludion et les craquements de doigts. Pourtant Léa était si belle et tellement pure avec cette peau incroyable. Il savait même que les détails intimes en étaient fignolés. Elle passait près de Toinon, développant des manches amples de mousseline perle, serrées aux poignets ; elle voguait, enveloppée de son parfum si particulier, un peu masculin. Elle voulait agacer Toinon, mais Paulo vint le lui subtiliser en l’entraînant par le bras. Il procéda d’abord au lissement machinal de ses tempes argentées dans ses paumes soigneuses, avec étincellements de rubis sur fond d’hidalgo. Il emmena Toinon dans le petit salon doré où ils furent rejoints par Dutheil.

Paulo referma la porte sur eux trois :

— Pas de doute, fit-il, nous avons, le Gorille et moi, essayé de sonder le problème. Eh bien, rien ne s’emboîte. Rien ne peut s’emboîter.

Toinon vit stagner un certain flou dans les yeux de Jeannot. À son échelon d’exécutant, ça devait lui passer complètement au-dessus de la tête. Il balança recta, discipliné :

— C’est sûr.

— Il y a de sacrées contradictions, hésita Toinon.

— Hé, grommela Paulo, la plus grosse c’est que tu sois toujours vivant !

Songeur, il mit ses mains dans ses poches. Toinon avait l’occasion de voir avec quelle perfection son alpaga bleu nuit avait été coupé sans compter le détail du fini main. Dutheil attendait, monolithique, paré à obéir aux ordres les plus incompréhensibles. Pour lui, visiblement ça s’arrêtait là. Paulo fit un aller et retour dans le petit salon, pivota brusquement face à eux deux :

— Ou alors ça peut s’emboîter… S’il y a un troisième larron, ni White Cats ni Golden Eggs.

— C’est peut-être tout simplement les English ? suggéra Toinon peu convaincu.

— Exclu ! Rigoureusement exclu ! C’est garanti par le Gorille. Et tu connais ton père.

Il réfléchit encore un peu, puis balança :

— Hey, puis merde ! Retournons picoler, il n’y a que ça de vrai.

Léa circulait toujours chic, belle et parfumée. Dans sa chair translucide, les yeux sombres bouffaient sa tronche, comme ceux de la gitane de Fred, mais ils n’étaient pas résignés pour deux ronds – plutôt hallucinés. Petit à petit l’ambiance s’était étouffée, encalminée dans des odeurs de cigarettes ; s’il était très libéral par ailleurs, Paulo interdisait le cigare chez lui. Il prétendait que ça se fumait exclusivement aux cabinets.

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