Le don des morts by Histoire

Le don des morts by Histoire

Auteur:Histoire [Histoire]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2015-03-30T22:00:00+00:00


RAISON ET PITIÉ

Qu’on place sa confiance dans le monde imaginaire qui, par l’intermédiaire de la fiction littéraire, vient doubler le nôtre, cela veut dire – et la forme même, énigmatique, de la littérature, tantôt poème et tantôt récit, le confirme – qu’elle touche en nous à des zones obscures, qu’elle répond en nous à une demande sans nom.

Il lui faut répondre à une certaine douleur qui est liée à notre condition et ne s’efface pas lorsqu’un état de bonheur matériel, de liberté sociale, économique, civique, ou ide réalisation subjective se voit réalisé. Cette demande porte un nom : le « Lebensnot », dit Nietzsche, la « misère de vivre ».

Toute cette thèse est une thèse métaphysique : vivre n’est pas triste, vivre est tragique. Vivre n’est ni une obligation ; ni une corvée ; vivre n’est pas un devoir, vivre est un don, une grâce. La mélancolie vient à la pensée des forces qui sont mises en jeu pour écraser la vie sous le vivre, par exemple ceci qu’on ose à peine rappeler, que la plus grande part de l’existence est consacrée à la survie, le reste, à l’ennui, ou comme on préfère dire aujourd’hui, aux loisirs. Rappelons ici Schopenhauer : « Ce qui occupe tous les vivants et les tient en haleine, c’est le besoin d’assurer l’existence. Mais cela fait, on ne sait plus que faire. Aussi le second effort des hommes est d’alléger le poids de la vie, de le rendre insensible, de tuer le temps, c’est-à-dire d’échapper à l’ennui. (…) Dans la vie civile le dimanche représente l’ennui, et les six jours de la semaine la misère » (Le Monde comme volonté et comme représentation).

Vie des pauvres dans Calcutta assiégée, vie des employés qui chaque matin traversent les grandes villes sous leur sol pour aller s’enfermer dans l’ombre, non pour penser ou méditer qui seraient la seule raison d’oublier un instant la lumière sacrée du monde, mais pour remplir des bordereaux et poser leurs doigts sur les claviers d’une machine électronique. Où est le sens, qui s’en préoccupe ?

Misère, abandon, déréliction que masquent la course à la consommation, les humbles et pauvres divertissements, exutoires tarifés d’un vouloir-vivre farouche, et qui ne se connaît pas. Le spectacle de la vie telle qu’on la mène donne le sentiment d’un tragique inépuisable ; prolonger la vie, c’est prolonger la souffrance de vivre et espérer la prolongation d’un temps jusqu’à une vieillesse absurde, dit encore Schopenhauer, puisque pour elle « aujourd’hui est mauvais, et chaque jour sera plus mauvais – jusqu’à ce que le pire arrive ». « Le bonheur est toujours dans l’avenir ou dans le passé ; et le présent est comme un petit nuage sombre que le vent promène sur la plaine ensoleillée, devant lui, derrière lui, tout est lumineux, lui seul jette une ombre. »

S’interrogeant avec le même rigoureux pessimisme sur l’absurdité de vivre, Witkiewicz lisait dans l’histoire de l’humanité trois temps successifs, trois formes successives de la réponse : la religion, la philosophie, l’art. Chacune, à sa manière, a son fondement dans le Lebensnot : chacune y a puisé les formes de sa réponse.



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