Le dieu de cristal by Camille Morland

Auteur:Camille Morland [Morland, Camille]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00

10

Yann consulta la carte étalée sur le volant.

— Il faut prendre cette route à droite. D'après ce que nous a dit notre paysan, elle mène tout droit à Innish Lodge.

Un homme monté sur une bicyclette antédiluvienne les avait arrêtés peu de temps auparavant pour leur demander s'ils avaient vu ses vaches. Abasourdis, ils avaient répondu par la négative, l'interrogèrent à leur tour sur la direction d'Innish Lodge. Dans un anglais rendu encore plus incompréhensible par des expressions gaéliques, le fermier les avait retenus par un monologue fleuve où des commentaires sur la France, le président Kennedy, sa propre ferme, ses enfants, se bousculaient dans une fantaisie débridée.

Avec une pétarade joyeuse, la vieille Austin noire enfila une route étroite qui zigzaguait entre des murets de pierres sèches, dont les ramifications dessinaient dans les champs des motifs abstraits semblables aux entrelacs gravés des croix celtiques. Des poneys partageaient une herbe rêche avec des vaches et des moutons cornus.

D'une beauté sereine, le paysage invitait au calme et à la rêverie. Sa tranquillité semblait avoir agi sur Yann.

Pas une seule fois, celui-ci n'avait eu un mot désagréable. Au contraire, jamais il n'avait été aussi gai et charmant. Si charmant qu'elle commençait à regretter de lui avoir menti, mais elle ne pouvait plus à présent revenir en arrière.

Leur guimbarde roulait à une allure typiquement irlandaise, c'est-à-dire lentement, ce qui convenait à Isabelle qui avait horreur des chauffeurs conduisant le pied au plancher. Cette allure paresseuse leur évita d'écraser une ânesse et son petit, rêvassant paisiblement au milieu de la route. Ils ne bougèrent même pas en les voyant arriver. Après un coup d'avertisseur asthmatique, l'ânesse daigna se déplacer de quelques centimètres pour les laisser passer.

— Quel merveilleux pays où les animaux ont la priorité sur les automobiles !

Se penchant hors de la portière, Yann donna une tape amicale sur la croupe grise de l'animal qui le regardait avec un doux reproche.

— Je devrais jeter l'ancre dans un endroit comme ça. M'installer dans une petite maison. Loin des turbulences du monde. Seul avec ma machine à écrire, des bouquins, des disques... et une jolie femme. Le plus difficile serait de trouver la compagne idéale.

Il jeta un coup d'œil à la jeune fille, dont les cheveux blonds dansaient légèrement autour de son fin visage. Sa main vint se poser sur la cuisse d'Isabelle, qui eut un petit sursaut de surprise.

— Seriez-vous tentée par un programme aussi bucolique ?

D'un geste brusque, elle se dégagea.

— Avec un autre, peut-être.

— Wilfrid Arnim ?

Avec impudence, il effleurait du regard sa poitrine ronde sous le corsage bleu ciel, apparemment plus intéressé par ce qu'il voyait que par sa réponse.

— Vous feriez mieux de fixer la route, dit-elle d'un ton pincé pour cacher son trouble.

Si la seule pression de sa main la mettait dans un tel état, que se passerait-il s'il la prenait de nouveau dans ses bras ? Elle n'osa y penser.

— C'est vrai, il faut que je vous amène en bon état chez le Maître.

Son rire railleur déplut à Isabelle qui regarda droit devant elle.

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