Le dernier hiver du Cid by Jérôme Garcin

Le dernier hiver du Cid by Jérôme Garcin

Auteur:Jérôme Garcin
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, General, Littérature
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2019-10-01T22:00:00+00:00


CLINIQUE VIOLET

16 novembre 1959

La vie, qui met son poing dans la poche et un pied dans la porte, n’a pas dit son dernier mot. Elle est obstinée et réclame son dû : des prolongations, sous des frondaisons estivales. Voici que, à son réveil, toujours cotonneux et embué, il s’étonne d’avoir, hier, tant broyé de noir et présagé le pire. Comment a-t-il pu douter d’être sauvé et sur le chemin de la guérison ? Il faut qu’il arrête d’écouter son corps concassé et compressé par l’opération, il doit maintenant faire confiance à son esprit, qui ne demande qu’à se remettre au boulot.

La visite surprise, cet après-midi, d’Henri Pichette – même Anne ignore qui donc l’a mis au courant et ne comprend pas comment il a réussi à se glisser jusqu’à la clinique – le met en joie. Le poète frondeur des Épiphanies et de Nucléa, de deux ans son cadet, a une dette immense envers Gérard qui, en portant sur scène son verbe tonitruant et sa rhétorique fabuleuse, lui a donné une identité théâtrale et l’a sorti de la marginalité. Au jeune premier de vingt-cinq ans un peu engoncé dans des emplois conventionnels, qui venait de tourner La Chartreuse de Parme et de crever l’écran avec Le Diable au corps, Henri Pichette, l’ami d’Antonin Artaud, a donné, pour sa part, le goût de la farce, de la colère, d’une autre langue, enfiévrée, furibarde, saturée de néologismes et de borborygmes. Il l’a déshabitué des beaux alexandrins et de la rhétorique du Grand Siècle. Il l’a encouragé à oser faire la guerre à la guerre, l’a poussé à se révolter contre les injustices et la misère. Dans Les Épiphanies, mis en scène par Georges Vitaly, avec une grande toile de Matta en guise de décor et la musique de Maurice Roche en fond sonore, sur la petite scène des Noctambules que Gérard avait louée à ses frais après avoir été éjecté du théâtre Édouard-VII, il incarnait le Poète, en chandail bleu nuit et sans aucun maquillage, enivré par ses propres mots – « Depuis la première pulsation du monde, je tournais sur moi-même, je pensais comme une circonférence » –, sa chère Maria Casarès en robe noire était l’Amoureuse et Roger Blin figurait un Monsieur Diable serré dans un vieil imperméable. À l’exception de la libraire de la rue de l’Odéon Adrienne Monnier, toujours habillée de gris comme une mère abbesse, compagne de Sylvia Beach, éditrice de la traduction française de l’Ulysse de Joyce, amie d’Hemingway et de Jean Prévost, qui avait vu la pièce trois fois et « senti naître une force nouvelle, une poésie qui est celle de la jeunesse d’à présent », le texte avait indisposé, décontenancé, choqué, et cela avait ajouté au bonheur de Gérard, ce « comédien poète » ainsi que le surnommait Vitaly, tout étonné d’être le joli instrument d’un petit scandale parisien. « Se fût-il donné aux Épiphanies, s’extasiait le dramaturge, s’il n’eût été lyrique et risque-tout ? » Cinq ans plus tard, cette fois dans



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