Le déserteur by Jean Giono

Le déserteur by Jean Giono

Auteur:Jean Giono [Giono, Jean]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Récit, Nouvelles
Éditeur: Gallimard
Publié: 1973-04-01T22:00:00+00:00


Arcadie… Arcadie…

Dix kilomètres à droite ou à gauche suffisent à vous dépayser. De la région romantique des châteaux, on passe sans transition, par le simple détour d’un chemin, au canton virgilien classique. Les landes noires occupent en principe les plateaux mais descendent très souvent dans les vallées ; les terres organisées en vignobles, les petites propriétés à la mesure d’une famille ou d’un seul homme sont installées dans les plaines mais montent jusque dans les hauteurs les plus solitaires. Je me délecte de cette diversité. Je vais à droite, à gauche, au nord, au sud, sans plans préconçus. C’est le contraire d’un pays à idées fixes. De là, une jeunesse dans les désirs qui vous étonne quand on la rencontre, comme c’est le cas, chez de vieux paysans solitaires. Partout ailleurs tout serait dit. Ici on constate qu’ils ont des projets, qu’ils désirent des quantités de choses et qu’ils s’occupent très sérieusement de leur bonheur. Ils le font sans raideur. S’ils mènent un combat ce n’est pas en armure mais nus et frottés d’huile pour glisser et ne donner prise à rien. Ce qu’on prend pour de la paresse ou de la nonchalance, c’est du sang-froid. Ils ne s’énervent pas sous les coups du sort et souvent, quand on les en croit accablés, on s’aperçoit qu’ils les ont esquivés d’un simple effacement du corps, sans même bouger les pieds de place. Ce sont des têtes rondes, des Romains, des cavaliers de Cromwell, mais sans Bible, sans Rome et qui fabriquent leurs idées à la maison. Cette qualité a son revers. Ils peuvent passer pour insolents : c’est qu’on prend assez souvent l’opinion courante pour de la courtoisie et l’opinion commune pour de la culture.

Les villages sont construits sur les collines, à la cime des rochers et de tous lieux escarpés d’où il est facile de faire dégringoler des pierres. En mettant ainsi d’accord son besoin de sécurité et son intention formelle d’y consacrer le moins d’efforts possible, le Provençal s’est mis à l’air pur et devant des plans cavaliers. Il y a des vues que les bourgeois qualifient d’immenses ou de pertes de vue. Ces découverts, encadrés dans les portes et les fenêtres, tiennent lieu dans ces murs du chromo de Romulus et Remus ou de celui du passage de la mer Rouge par les Hébreux. Ces paysages composés de neuf dixièmes de ciel et d’un petit dixième de terre, et encore de terre qu’on surplombe, font jouir l’âme de délires et de délices féodaux. Comme on voit venir les ouragans de cent kilomètres à la ronde, on épuise la peur avant d’en avoir les raisons. Les hurlements les plus lugubres, le grondement des grandes maisons pleines d’échos ne prédisposent qu’à la mélancolie la plus tendre. De certains endroits bien placés, on domine des territoires plus vastes qu’un canton et couverts de forêts de rouvres. D’en haut on aperçoit le partage de ces vastes cathédrales romantiques à travers les branches desquelles apparaît parfois la trace blanche des chemins. Sur la



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