Le crépuscule des idoles progressistes by Bérénice Levet

Le crépuscule des idoles progressistes by Bérénice Levet

Auteur:Bérénice Levet
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock
Publié: 2017-08-15T00:00:00+00:00


Le monde ne commence pas avec nous

Revenons à présent au devoir de transmission, à ses fondements. Transmettre le passé, l’histoire, est en effet un impératif à double titre. En donnant à aimer, et pas seulement à connaître, aux nouvelles générations l’héritage des siècles, la nation prend une assurance contre la nouveauté et ses potentialités destructrices dont chacun est porteur par naissance. « Par instinct, écrit l’hélleniste de la philosophie Werner Jaeger en ouverture de son magistral ouvrage Paideia : la formation de l’homme grec, chaque peuple qui atteint un certain stade de développement se voit amené à pratiquer l’éducation. L’éducation est le moyen par lequel une communauté sauvegarde, transmet ses caractères physiques et intellectuels. Si l’individu passe, le type reste. » Cet instinct, qui s’est fortement émoussé, voire perdu depuis la décennie 1970, renaît aujourd’hui. Les peuples aspirent à donner un avenir à l’histoire qui est la leur.

La transmission du passé nous retient de verser dans l’hubris d’un présent qui se voudrait entièrement fondateur. L’homme est précédé, il entre dans un monde qui a été bâti par d’autres, lesquels le lui confient. Il est endetté par nature, ainsi que l’établit l’anthropologue Marcel Hénaff : « Naître, écrit-il dans Le Prix de la vérité, c’est être en dette. Ce n’est pas une faute, ni un accident, c’est un ordre des choses. Et parce que personne n’a été offensé, personne non plus n’a à être pardonné. Cependant si être en dette n’est pas une situation de culpabilité, c’est bien une situation de dépendance ou, en tout cas, d’incomplétude. » La dette, conclut-il, « s’identifie avec le fait de la finitude ».

Contre Sartre et l’hyperbolisme de la liberté, Merleau-Ponty fait droit à cette essentielle finitude et intègre ce qu’il appelle l’épreuve de la passivité. Il y a une part de l’existence qu’on ne peut référer à l’activité d’un sujet conscient. « Il n’y a pas de liberté sans étais dans l’être », disait-il. Naître, c’est recevoir, recevoir un corps, une histoire, un passé. Ces donnés de l’existence ne sont pas des conditionnements, mais des conditions de possibilité. Incarnation, narrativité, épaisseur temporelle confèrent à l’existence humaine une assise à partir de laquelle l’individu peut se projeter.

Il nous faut redevenir accessibles à la dimension du don lové au cœur de tout donné, naturel comme historique. Les morts ont œuvré pour nous – « Les générations antérieures semblent toujours consacrer toute leur peine à l’unique profit des générations ultérieures », observait Kant –, ce qui pour le moins mérite notre gratitude et en appelle à notre sens de la responsabilité.

Apprendre à lire, montre le philosophe Claude Lefort, ne signifie pas simplement pour l’enfant acquérir une technique, mais « se confronter à un univers de signes qui lui préexiste » et « affronter l’épreuve dans laquelle se donne une norme du langage », distincte de celle du parler oral. L’apprentissage de la lecture en ce sens, en tant qu’expérience symbolique et normative, marque une étape décisive dans la constitution du sujet. Le philosophe invite à cultiver et



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