Le consentement (Littérature Française) (French Edition) by Springora Vanessa

Le consentement (Littérature Française) (French Edition) by Springora Vanessa

Auteur:Springora, Vanessa [Springora, Vanessa]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Grasset
Publié: 2020-01-01T23:00:00+00:00


G. n’est finalement resté que peu de temps à l’hôpital. Après avoir fait courir le bruit qu’il était atteint du sida (c’est plus facile une fois qu’on est certain de ne pas l’avoir), il arbore désormais en permanence de nouvelles lunettes de soleil, encore plus couvrantes, et une canne. Je commence à lire dans son jeu. Il aime dramatiser sa situation. Se faire plaindre. Chaque épisode de sa vie est instrumentalisé.

Pour la sortie de son nouveau livre, G. a été invité sur le plateau de la plus célèbre émission littéraire, la Mecque des écrivains. Il m’a demandé de l’accompagner.

Dans le taxi qui nous conduit vers les studios de télévision, le nez collé à la vitre, je suis d’un œil distrait le défilement des façades centenaires sous la lueur des lampadaires, les monuments, les arbres, les passants, les amoureux. La nuit vient de tomber. G. porte ses sempiternelles lunettes noires. Mais depuis quelques minutes, derrière le plastique opaque, je sens sur moi l’hostilité de son regard.

— Qu’est-ce qui t’a pris de te maquiller ? finit-il par lâcher.

— Je… je ne sais pas, ce soir, c’est un moment exceptionnel, je voulais être belle, pour toi, pour te plaire…

— Et qu’est-ce qui te fait croire que je t’aime comme ça, toute bariolée ? Tu veux avoir l’air d’une « dame », c’est ça ?

— G., non, je voulais juste être jolie, pour toi, c’est tout.

— Mais c’est quand tu es naturelle que je t’aime, tu ne comprends pas ? Tu n’as pas besoin de faire ça. Là, tu ne me plais pas.

Je ravale mes sanglots, gênée par la présence du chauffeur, sans doute persuadé qu’il a bien raison, mon père, de m’engueuler comme ça. À mon âge, me maquiller comme une pute ! Et pour aller où, encore ?

Tout est foutu. La soirée sera un désastre, mon rimmel a coulé et maintenant, c’est sûr, je ne ressemble plus à rien. Il va falloir que je salue des inconnus, des adultes qui prendront tous un air entendu en me voyant au bras de G., il faudra que je sourie pour le mettre en valeur, comme chaque fois qu’il me présente à ses amis. Alors que je pourrais m’ouvrir les veines, là tout de suite, parce qu’il vient de me briser le cœur en me disant que je n’étais plus à son goût.

Une heure plus tard, dans le studio d’enregistrement, après quelques caresses, mots doux et réconciliation, après qu’il m’a couverte de baisers en m’appelant encore et toujours son « enfant chérie », sa « belle écolière », je suis assise dans le public, emplie d’admiration.

Trois ans plus tard, G. participera à cette même émission, qui n’aura jamais aussi bien porté son nom, car le moins qu’on puisse dire c’est qu’il y sera « apostrophé », et pas qu’un peu ! J’en ai découvert un extrait des années après, sur Internet. Cet enregistrement est beaucoup plus connu que celui auquel j’ai assisté, car en 1990, G. ne vient pas y défendre un inoffensif dictionnaire philosophique, mais le dernier tome de son journal intime.



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