Le Clou by Yueran Zhang

Auteur:Yueran Zhang [Zhang Yueran]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Zulma
Publié: 2019-03-15T00:00:00+00:00

Quinze minutes plus tard et quatre pâtés de maisons plus loin, la Volkswagen Santana conduite par mon père heurtait de plein fouet un énorme camion. La voiture se retourna sur le capot. Mon père eut le crâne brisé, le pare-brise perça un trou dans son front, il perdit beaucoup sang. Un sang à forte teneur en alcool qui ruissela sur son visage comme pour lui offrir une ultime ivresse.

Lorsque l’ambulance, faisant tournoyer la lumière violette de son gyrophare, quitta l’hôpital, quelques flocons clairsemés voletaient dans le ciel. Papa avait cessé de respirer. À côté de lui se trouvait un siège vide. C’était la place que la Mort m’avait réservée.

Le chauffeur du camion eut une simple écorchure au front. Il ne s’était pas rendu compte que mon père conduisait en état d’ébriété. Au feu rouge, il avait vu la Santana arrêtée en face. Lorsque le feu était passé au vert, les deux véhicules avaient démarré en même temps. Ils roulaient dans des directions opposées, à vitesse modérée, séparés par l’allée centrale. Alors qu’ils étaient sur le point de se croiser, la Santana avait viré et foncé sur le camion qu’elle avait percuté.

Des années plus tard, en repensant à l’accident, j’ai toujours l’impression de l’avoir vécu en personne. Je me trouvais à l’intérieur de la Santana retournée, la tête en bas, bloquée sur le siège passager, incapable de bouger, je distinguais juste un petit carré de bitume brillant qui bougeait au-delà du pare-brise fracassé.

La température baissait, l’humidité de l’air après la tempête de neige se mêlait d’une odeur de sang frais. J’ignorais où se trouvaient mes doigts, mais ce que je sentais tout au bout était probablement du sang. Du sang en train de se refroidir, qui se coagulait déjà. Puis j’apercevais des pieds sur le petit carré de bitume. Ils venaient vers moi, mais au lieu de grandir en se rapprochant, ils s’amenuisaient. Je ne m’en étonnais même pas, exactement comme on accepte dans un rêve toutes sortes de choses étranges.

Ce n’étaient que des hallucinations, mais elles ne sortaient nullement de mon imagination. Les produits de notre fantaisie reviennent avec des détails qui changent, avec des corrections ou des ajouts. Or, chaque fois que je me remémorais l’accident, les images étaient immuables. Je pense donc que je suis réellement morte une fois – dans cette voiture.

Si, emboîtant le pas à mon père, j’avais fait le long voyage jusqu’à Pékin, c’était pour honorer avec lui son rendez-vous avec la mort. Depuis des années je n’ai cessé de faire des suppositions sur la signification de cette fugue. Tu ne m’y avais pas incitée, ce n’était pas non plus un coup de tête : une voix m’avait appelée depuis les limbes et poussée à sauter dans le train qui quittait Jinan. Le point final de ce voyage impromptu était la Santana.

Mémé Qin m’avait sauvée. Alors qu’elle bloquait farouchement la porte, qu’avait-elle donc vu de ses yeux hagards ?

Je me sentais terriblement coupable d’avoir survécu à mon père. D’après Tang Hui, c’était ce sentiment de

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