Le but du jeu by Santiago Roberto

Le but du jeu by Santiago Roberto

Auteur:Santiago,Roberto [Santiago,Roberto]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Thriller
ISBN: 9782021372403
Éditeur: Editions du Seuil
Publié: 2018-05-02T22:00:00+00:00


50

Nous chantions faux et pas dans le rythme, chacun suivant la mélodie à sa guise. Même moi je m’en rendais compte. Malgré sa simplicité apparente, Joyeux anniversaire est en réalité d’une complexité harmonique qui rend l’air particulièrement difficile à fredonner. Enfin, c’est ce que j’ai entendu dire. Pour moi qui ne fais pas la distinction entre une note de musique et un pot de fleurs, cette chanson était une bonne excuse pour braire comme un âne sans que personne me reprenne, mais ce jour-là la dissonance m’a frappée. Peut-être y étais-je plus sensible à cause de la paroxétine.

Helena souriait, tandis que Gerardo, Sofía, Ronda et moi massacrions le refrain. Martín semblait enchanté, tournant ses yeux écarquillés de tous côtés.

Puis nous avons lâché un dernier « joyeux anniversaire » en accentuant la dernière syllabe pour annoncer la fin de la performance vocale. Nous étions debout autour de la table de la cuisine, sur laquelle trônait un merveilleux carrot cake avec un glaçage fait maison, orné en son centre d’une bougie. L’enfant s’est empressé de la souffler avec sa mère, et nous avons tous applaudi. Helena paraissait émue.

– Sto-lat, a dit ma belle-sœur, ou un mot approchant. Ça veut dire « cent ans ». C’est tradition à Poznań.

– Sto-lat, a répété Martín en attrapant la bougie.

– Attention, jeune homme, tu vas te brûler ! l’a prévenu Ronda, qui la lui a pris des mains d’un geste tendre.

Puis elle s’est adressée à Helena :

– Bon, et ça te fait quel âge, on peut savoir ?

– Vingt-trois. Moi très vieille maintenant.

Oui, une vieille qui s’habillait en taille trente-huit et avait la peau lisse d’une publicité pour des cosmétiques.

Ronda l’a aidée à couper et à servir le gâteau qu’elle avait elle-même confectionné. Visiblement, elles avaient fait la paix. On ne m’avait rien raconté, mais quelque chose me disait que notre perspicace et intrépide secrétaire-gérante continuait à voir Sebastián, le frère, et que ça devait plutôt bien se passer, si je me fiais à son grand sourire. Elle s’imaginait peut-être déjà agrandir la famille Kowalczyk, avec des enfants blonds aux joues roses courant dans tous les sens et prononçant des phrases bizarres en polonais.

– Dément, ce gâteau, a murmuré Gerardo, la bouche pleine.

– Non merci, pas pour moi, ai-je fait.

Tout le monde sait qu’un des effets indésirables des antidépresseurs et des inhibiteurs de sérotonine est une tendance à grossir, à gonfler comme une baudruche sous acide folique ou je ne sais quelle substance bizarre. Moi, ces fameuses pilules me coupaient plutôt l’appétit, j’ignore pourquoi et ne me suis jamais inquiétée outre mesure d’un effet ou de son contraire, n’ayant jamais eu de problèmes de poids.

Nous avons entendu le bruit assourdi de l’interphone au milieu du raffut de la fête improvisée pour finir la journée. Il n’était pas loin de 20 heures et nous n’attendions personne.

– Je vais ouvrir, a proposé Sofía.

J’ai senti qu’on m’agrippait par le pantalon. C’était Martín, bien entendu.

– Tatie Ana, tu manges pas de gâteau parce que t’es punie ?

– Disons que je n’ai pas faim.



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