Le bal des louves la chambre maudite by Mireille Calmel

Le bal des louves la chambre maudite by Mireille Calmel

Auteur:Mireille Calmel [Calmel, Mireille]
La langue: fra
Format: epub
Tags: - Divers
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Albérie se laissa tomber à quatre pattes sur la neige. Elle était encore à cheval entre deux mondes, son visage de femme ruisselant de sueur et de sang sur son poitrail de louve. La douleur était indescriptible, comme si on lui arrachait une partie d’elle-même, comme si on lui volait une mémoire. Elle avait beau en avoir l’habitude, chaque fois un peu plus elle se sentait salie. Vaincue et brisée par cette force maléfique qui réclamait son dû, elle haletait tel un animal qui n’en finit pas de mourir. Et pourtant elle était bien vivante, trop vivante, ignoblement vivante. Un instant elle revit les yeux dilatés du mouton lorsqu’il avait compris qu’il n’en réchapperait pas. Le goût du sang jaillissant par saccades dans sa gorge ouverte lui donna la nausée. A ce moment-là, elle se mit à vomir dans de grands spasmes sur la roche couverte de neige, en espérant contre toute logique rejeter loin d’elle la louve furieuse et meurtrière. Lorsqu’elle fut vidée de son dégoût, elle se traîna à genoux au bord de la rivière. Lentement le froid hivernal s’immisçait en elle, mais elle n’en avait cure. Il lui semblait même amical après la chaleur intense qui avait consumé sa raison durant la transformation.

La poudreuse recouvrait tout alentour. De la main, Albérie la dégagea entre deux rochers plats puis jeta avec force une pierre sur la pellicule de glace qui recouvrait l’eau. Le chant de la rivière monta doucement, régulier dans le silence. Albérie retira les morceaux de glace effilés ainsi que du verre puis trempa ses mains dans l’eau claire. Elle se coucha à même la neige, nue, et plongea son visage dans ses mains. Aussitôt l’eau se teinta d’un rouge écarlate. Elle recommença encore et encore jusqu’à ce que ses traits poisseux soient débarrassés du sang. Lorsqu’elle eut terminé, il ne restait rien de son forfait. L’eau vive avait tout emporté sous la glace. Alors elle se roula dans la neige comme si elle voulait s’y ensevelir. Puis elle se mit à pleurer, le regard tourné vers la lune ronde, tandis qu’un simulacre de soleil pointait un rai de lumière au-dessus des montagnes endimanchées. Elle grelottait à présent mais s’attarda jusqu’à ce que son corps bleui l’entraîne vers le sommeil, à la limite à nouveau entre deux mondes, entre la vie et la mort. Chaque fois elle attendait ce moment en suppliant son âme de se laisser faire. Il suffirait de quelques minutes de plus et c’en serait terminé de l’animal qu’elle exécrait. Mais une fois encore, elle se releva, parce que son instinct de survie était plus vivace que chez aucune autre, qu’il ne lui concédait pas le droit de s’anéantir. Le froid avait cet avantage d’endormir les souffrances du corps, même si ses membres engourdis avaient peine à se mouvoir. Elle extirpa du bosquet qui lui servait de cachette ses vêtements abandonnés plus tôt afin que la transformation ne les écartèle pas, puis s’habilla en claquant des dents. Comme chaque hiver, elle éprouva une



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