Lazare Vollant by François Gravel

Lazare Vollant by François Gravel

Auteur:François Gravel
La langue: fra
Format: epub
Tags: Pour les jeunes.
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2014-10-02T00:00:00+00:00


« C’est à ce moment-là que le vent s’est levé et que la température a chuté. Tant que nous étions sur la rivière, nous étions protégés des rafales par les arbres qui la bordaient. Mais dans ce vaste espace, le froid était meurtrier.

« Marie s’est éteinte la première. Elle marchait en silence depuis un bon moment, et j’ai l’impression qu’elle était déjà morte quand elle s’est écroulée. Je l’ai ramenée au bord du lac pour tenter de la réchauffer, mais je n’ai pas réussi. Noël m’a suivi, mais il est mort pendant que j’essayais de sauver la vie de sa sœur.

« Je les ai ensevelis sous la neige et j’ai passé la nuit à les veiller sans savoir quel Dieu prier. Si ce Dieu avait écouté mes prières, il m’aurait fait mourir cette nuit-là, moi aussi.

« Au matin, je ne savais pas quoi faire. Je ne voulais pas aller au village. Je me sentais responsable de la mort de mon frère et de ma sœur, et je n’avais pas le courage de raconter tout cela à ma mère.

« Je ne voulais pas non plus rentrer au pensionnat. J’aurais eu envie d’y mettre le feu, mais cela n’aurait rien réglé et n’aurait fait que davantage de victimes innocentes.

« Je n’ai pas été capable de choisir entre la honte et la colère et j’ai plutôt décidé de rester quelques semaines dans la forêt. J’espérais y mourir de froid, mais je n’y suis pas parvenu. Mes parents m’avaient trop bien éduqué et je connaissais toutes les techniques de survie.

« Quand le printemps est arrivé, je me suis rendu jusqu’à la route des Blancs, j’ai fait du pouce et je me suis retrouvé en ville, loin des miens, loin de moi-même.

« Je n’ai jamais revu ma mère. J’avais trop honte.

« Je n’ai jamais revu les miens, je ne suis jamais revenu dans mon village.

« Je ne comprenais pas pourquoi mon frère et ma sœur étaient morts de froid alors que le frère Donatien dormait bien au chaud. Je ne le comprends toujours pas.

« Je ne comprenais pas non plus pourquoi j’avais survécu ni pourquoi je continuais à vivre, moi qui ai passé une bonne partie du reste de ma vie à tenter de me suicider. J’ai expérimenté les méthodes lentes – la cigarette, l’alcool, les drogues – et d’autres plus rapides, mais c’est la cigarette qui a gagné, au bout du compte. C’est toujours elle qui l’emporte. J’ai vendu de la drogue, je me suis battu, je me suis souvent retrouvé en prison… Mais vous n’êtes pas obligé de savoir tout ça. Tout ce qui importe, c’est que je peux maintenant retourner d’où je viens, et je peux y retourner l’âme en paix.

« J’ai fait ce que j’avais à faire, et je l’ai bien fait. Allez vous reposer, jeune homme. Vous l’avez mérité. Je reviendrai vous voir dans quelques jours pour mettre un point final à cette affaire. Restez ici en attendant. Le chalet est payé. Vous seriez bête de ne pas en profiter. »

Il ne met ni manteau, ni chapeau, ni bottes, et il sort dans le froid.



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