L'avenir de la nature humaine by Jürgen Habermas

L'avenir de la nature humaine by Jürgen Habermas

Auteur:Jürgen Habermas [Habermas, Jürgen]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Philosophie
Publié: 2015-10-15T17:00:00+00:00


VII. Les prodromes d’une auto-instrumentalisation de l’espèce ?

Que tirer de cette analyse pour juger du débat actuel relatif à la recherche portant sur les cellules souches et le DPI ? J’ai tout d’abord tenté d’expliquer dans la section II pourquoi l’espoir était illusoire de pouvoir trancher la controverse au moyen d’un argument moral unique décisif. D’un point de vue philosophique, nous ne sommes nullement tenus d’étendre l’argument de la dignité humaine à la vie humaine « dès le départ ». Parallèlement, la distinction juridique entre la dignité humaine de la personne, laquelle vaut de manière inconditionnée, et la protection de la vie de l’embryon, qui en principe peut être mis en balance avec d’autres biens juridiques, n’ouvre en aucune façon la porte à une querelle sans issue sur des fins éthiques conflictuelles. En effet, lorsque nous apprécions la vie humaine antépersonnelle, nous ne nous y rapportons pas, ainsi que je l’ai montré dans la section III, comme à un « bien » parmi d’autres. Il y va dans le rapport que nous avons à la vie humaine anténatale (ou avec les humains après leur mort) de la façon dont nous nous comprenons nous-mêmes en tant qu’êtres porteurs de l’espèce. Or à cette compréhension de soi du point de vue d’une éthique de l’espèce sont étroitement tissées les représentations que nous avons de nous-mêmes en tant que personnes morales. Nos conceptions de la vie humaine antépersonnelle — et la manière que nous avons de nous y rapporter — constituent pour ainsi dire, pour la morale raisonnable des sujets des droits de l’homme, un environnement stabilisateur du point d’une éthique de l’espèce — un contexte d’enchâssement qu’il ne faut pas briser si l’on veut éviter que la morale elle-même ne se mette à déraper.

Ce lien interne entre l’éthique professant la protection de la vie et la manière dont nous nous comprenons en tant qu’êtres vivants autonomes et égaux nous guidant au moyen de raisons morales, devient saillant sur le fond de la possibilité d’un eugénisme libéral. Les raisons morales qui parlent de façon hypothétique contre une telle pratique jettent aussi une ombre contre les pratiques qui préparent simplement le terrain à l’eugénisme libéral. La question qu’il nous faut aujourd’hui nous poser est celle de savoir si les générations à venir s’accommoderont de ne plus se concevoir comme les auteurs à part entière de la vie qu’elles mèneront — et d’en n’être plus comptables en tant que tels. S’accommoderont-elles d’une relation interpersonnelle qui aura cessé d’être congruente avec les présuppositions égalitaires de la morale et du droit ? Et est-ce que cela n’est pas susceptible de changer la forme grammaticale de notre jeu de langage moral dans son ensemble — la compréhension des sujets capables de parler et d’agir pour qui les raisons morales comptent ? Les arguments que j’ai avancés dans les sections de IV à VI avaient pour but de rendre recevable le fait que ces questions se posent à nous d’ores et déjà en attendant les développements ultérieurs de la technologie génétique.



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