L’ordinateur du paradis (Blanche) (French Edition) by Benoît Duteurtre

Auteur:Benoît Duteurtre [Duteurtre, Benoît]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2014-08-27T22:00:00+00:00

IV

Le grand dérèglement

1

Heureuses retrouvailles

De bon matin, Simon Laroche avait quitté son village, requinqué et décidé à continuer le combat. Il avait trouvé une place sur la nouvelle ligne à grande vitesse qui permettait de faire le voyage en trois heures, en échappant au vol low cost et aux toilettes payantes. Mais, comme il entrait sous la charpente en fer de la gare centrale et cherchait son train sur les tableaux d’affichage, il découvrit que la ligne rapide partait d’un « terminal » inauguré à dix kilomètres du centre-ville. Aucun train n’assurait la correspondance et Simon, dépité, se traîna avec ses bagages vers le point de départ des autobus.

Quinze minutes plus tard, le « Terminal grande vitesse » se dressait devant lui, tel un navire de béton percé d’immenses baies vitrées ; mais l’agacement de Simon monta encore d’un cran, à l’intérieur du bâtiment, lorsqu’une hôtesse lui donna quelques indications sur son départ. Pour accéder au train rapide, il fallait procéder à un « enregistrement », mot emprunté à la terminologie aérienne. Autrement dit, montrer patte blanche en fournissant une pièce d’identité, puis faire peser les bagages et payer un supplément en cas de surpoids.

Durant toute la phase de contrôle des papiers, Simon fit donc preuve de mauvaise volonté, ne trouvant plus son passeport (« j’ignorais qu’il fût nécessaire pour prendre le train »), puis discutaillant avec le préposé pour lui dire tout le mal qu’il pensait de ces changements. Simultanément, une petite voix de sagesse lui répétait :

— Tu as un problème avec le changement. Tu devrais en parler à un psychanalyste.

Mais une autre voix, plus compréhensive, répliquait :

— Non, tu aimais le train pour ce côté pratique et simple… qui est en train de disparaître !

— Allons donc ! s’impatientait la première voix. Cesse un peu ta rengaine sur la modernité qui se déglingue. Tu vas rentrer chez toi à trois cents à l’heure ; et tout ce que tu vois, c’est déclin et disparition ! Le problème est dans ta tête !

Au sommet de l’Escalator, Simon arriva dans la zone des bagages, et protesta contre les dix euros supplémentaires qu’on entendait lui extorquer. Puis il paya en râlant sous les yeux étonnés des autres passagers, tandis que la voix de sagesse lui soufflait :

— Pourquoi t’énerver ? Ça ne te mène à rien ! Tu peux déplorer l’évolution du monde, tu ne la maîtrises pas.

— Mais si tout le monde se tait, les choses s’aggraveront davantage ! répliquait la voix compréhensive.

— Ces enjeux te dépassent et la vie est courte. Songe aux trois jours que tu viens de passer près du lac, à cette montagne et aux prés fleuris, aux bons conseils de Sénèque que tu relisais hier au soleil couchant, à ces résolutions de sagesse qui te guidaient avant ton départ.

Au moment d’entrer dans la confortable voiture de première classe, Simon admit d’ailleurs que le nouveau système de réservation présentait certains avantages : il lui avait permis d’acquérir un siège à prix cassé dans cette étrange loterie qu’étaient devenus les voyages.

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