L'Âne et le Bœuf (préf. Dutourd)) by Raymond-Léopold Bruckberger & Jean Dutourd

L'Âne et le Bœuf (préf. Dutourd)) by Raymond-Léopold Bruckberger & Jean Dutourd

Auteur:Raymond-Léopold Bruckberger & Jean Dutourd [Bruckberger, Raymond-Léopold & Dutourd, Jean]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2259001173
Éditeur: (Plon) réédition numérique FeniXX
Publié: 1975-12-31T23:00:00+00:00


Les jésuites aiment gagner, non pas tellement pour chacun d’eux, mais la Compagnie est faite pour gagner les batailles. Ils détestent perdre, ils ne l’admettent pas. Et, à l’intérieur de l’Eglise catholique latine, on peut bien dire qu’ils ont en effet gagné. Depuis le XVIe siècle, ils ont tout conquis de cette Eglise, son gouvernement et les méthodes de son gouvernement, son enseignement et son vocabulaire, la stratégie de son apostolat et sa tactique, où ils se sont montrés des maîtres.

Oui, les jésuites ont conquis l’Eglise. Mais, durant le temps de cette conquête et de cette domination, l’Eglise elle-même n’a-t-elle rien perdu ? Poser la question, c’est y répondre : depuis le XVIe siècle, quelle immense reculade pour l’Eglise catholique, sur tous les fronts et sur la terre entière ! A quoi sert donc d’avoir voulu conquérir l’univers pour la plus grande gloire de Dieu, si dans le même temps l’univers a perdu son âme, et qu’on en soit arrivé à se poser universellement la question de l’existence même de Dieu, d’ailleurs ouvertement niée par une immense partie de nos contemporains ?

Quand je dis que les jésuites ont conquis l’Eglise latine, cette conquête est tellement complète qu’on ne s’en aperçoit même plus. Mais le vocabulaire ecclésiastique trahit cette conquête. Ce sont les jésuites qui ont introduit dans ce vocabulaire ces expressions bizarres qui m’ont toujours fort amusé : « gagner les âmes », « gagner le paradis », gagner, gagner, gagner. Calvin, qui était bien de son temps, traduisait les mots de saint Paul à propos du Christ Il faut qu’il règne ! par Il faut qu’il gagne ! Quelle drôle d’idée que de considérer le royaume de Dieu comme un butin !

Les jésuites ne sont si admirablement adaptés au monde moderne que parce qu’ils en sont les géniteurs. On n’en finirait pas d’énumérer les domaines où ils ont innové et apposé leur marque. Leurs collèges et leur manière d’enseigner furent à l’origine de notre enseignement et de nos méthodes universitaires. Pendant des siècles, ils ont été les conseillers et les confesseurs des princes chrétiens ; cela n’a pas l’air d’avoir si bien réussi à ces princes.

Notre philosophie moderne est imprégnée de l’esprit des jésuites. René Descartes fut leur plus illustre élève, et nul n’a plus fait que lui pour détourner l’esprit humain des antiques sagesses, pour l’orienter au contraire résolument vers la conquête extérieure de la nature. La grande découverte de Descartes est que la mathématique peut devenir — ce qu’elle est devenue en effet — l’instrument de la connaissance indéfinie du monde physique et de sa domination. Et d’autre part que l’ego de chacun est en lui-même un centre d’indépendance souveraine.

Etienne Gilson a bien montré tout ce que Descartes devait à ses maîtres jésuites, à quel point il était imprégné de leur esprit. Mais, paradoxalement, c’est peut-être Paul Valéry qui, à travers quatre études philosophiques sur Descartes, a le mieux diagnostiqué l’esprit jésuite. Certes la philosophie de Descartes n’est pas, à proprement parler, une philosophie : c’est l’expression



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