L'amour au temps du choléra by Inconnu(e)

L'amour au temps du choléra by Inconnu(e)

Auteur:Inconnu(e) [Inconnu(e)]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Lit.Sud américaine
Publié: 2014-04-19T18:39:37+00:00


V

À l’occasion des festivités du siècle nouveau, il y eut un programme sans précédent de manifestations publiques dont la plus mémorable fut le premier voyage en ballon, fruit des initiatives inépuisables du docteur Juvenal Urbino. La moitié de la ville s’était rassemblée sur la plage de l’Arsenal pour admirer l’ascension de l’énorme aérostat de taffetas aux couleurs du drapeau, qui portait le premier courrier aérien jusqu’à San Juan de la Ciénaga, à quelque trente lieues au nord-est en ligne droite. Le docteur Juvenal Urbino et son épouse, qui avaient connu l’émotion du vol à l’Exposition universelle de Paris, furent les premiers à monter dans la nacelle d’osier avec l’ingénieur aéronautique et six invités de marque. Ils portaient une lettre du gouverneur provincial aux autorités municipales de San Juan de la Ciénaga dans laquelle il était établi pour la postérité qu’elle était le premier courrier transporté par air. Un chroniqueur du Journal du Commerce demanda au docteur Juvenal Urbino quelles seraient ses dernières paroles s’il périssait dans l’aventure, et la réponse que méritait un tel outrage ne se fit pas attendre.

« À mon avis, dit-il, le xixe siècle change pour tout le monde sauf pour nous. »

Perdu au milieu de la foule candide qui chantait l’hymne national tandis que le ballon prenait de la hauteur, Florentino Ariza sentit qu’il approuvait l’opinion d’un quidam à qui il avait entendu dire, dans le tumulte, que ce n’était pas une aventure pour une femme et moins encore à l’âge de Fermina Daza. Mais tout compte fait elle ne fut pas si dangereuse. En tout cas moins dangereuse que décevante. Le ballon arriva sans incident à destination après un voyage paisible dans un ciel d’un bleu invraisemblable. Ils volèrent bien, très bas, avec un vent placide et favorable, d’abord le long des contreforts des cimes enneigées puis au-dessus du vaste étang de la Grande Ciénaga.

D’en haut, telles que Dieu les voyait, ils virent les ruines de Cartagena de Indias, ancienne et héroïque cité, la plus belle du monde, abandonnée par ses habitants pris de panique à cause du choléra alors qu’elle avait résisté à trois siècles de sièges anglais et à toutes sortes de brigandages de boucaniers, ils virent les murailles intactes, les rues envahies par les mauvaises herbes, les fortifications dévorées par les volubilis, les palais de marbre et les autels d’or avec leurs vice-rois pourris par la peste à l’intérieur de leurs armures.

Ils survolèrent les palafittes des Trojas de Cataca, peints de folles couleurs, leurs abris pour l’élevage des iguanes comestibles, les grappes de balsamines et d’astromélies de leurs jardins lacustres. Des centaines d’enfants nus se jetaient à l’eau encouragés par le chahut général, sautaient par les fenêtres, sautaient des toits des maisons, sautaient des canoës qu’ils manœuvraient avec une habileté étonnante, et plongeaient comme des gardons pour repêcher les paquets de vêtements, les flacons de tabonuco contre la toux et les vivres que, par charité, la belle dame au chapeau à plumes leur lançait depuis la nacelle du ballon.

Ils survolèrent l’océan d’ombre



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