L'émancipation entravée - L’idéal au risque des idéologies du XXe siècle by Michèle Riot-Sarcey

L'émancipation entravée - L’idéal au risque des idéologies du XXe siècle by Michèle Riot-Sarcey

Auteur:Michèle Riot-Sarcey [Michèle Riot-Sarcey]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Sciences humaines et sociales
Éditeur: La Découverte
Publié: 2023-03-16T00:00:00+00:00


Ne rien voir, ne pas savoir : l’impossible vérité

Le nazisme, ennemi de l’autre différent, étranger à l’idée d’émancipation, rejetant toute idée de subjectivité, se détachant résolument d’un XIXe « sans mythes [42]  » – lequel était impuissant face au parlementarisme –, décidé à écraser le marxisme comme toutes les forces désagrégatrices auxquelles les « races impures » auraient collaboré, se dote à l’aide de vieux mythes germaniques de normes adaptées à la refondation du passé de l’Allemagne et à la régénération de sa culture. Tout est mis en œuvre pour préserver les « peuples dont le sang est sain [qui] ne connaissent, comme échelle de mesure, ni l’individualisme ni l’universalisme [43]  ». Les textes sont lisibles, les discours diffusés et audibles. Tout est connu. L’Histoire du peuple allemand de l’historien prohitlérien Friedrich Stieve (1884-1966), parue en 1934, que décrypte Klemperer, atteint en 1942 sa douzième édition. Tout est écrit noir sur blanc. Les tournures spécifiquement nazies y sont introduites : « Critique qui démolit, intellect qui écharpe, mortelle manie de tout niveler, dissolution, sapement, déracinement, rupture de la barrière nationale, marxisme au lieu de socialisme, car le vrai socialisme appartient aux hitlériens, et le faux doit être qualifié d’hérésie du juif Karl Marx. (Dire le juif Marx ou le juif Heineet non pas Marx ou Heine tout court est un emploi particulier du matraquage stylistique…) [44] . » Mais en France comme en Allemagne, on ne veut pas savoir. Le jardinier, l’épicier ne veulent rien entendre : « Je ne suis au courant de rien, je ne lis pas le journal, j’ai toujours l’impression d’être au cinéma. On prend tout ça pour de la frime, on ne prend rien au sérieux et on sera bien étonné le jour où ce théâtre sera devenu une sanglante réalité [45] . »

La sanglante réalité est intervenue au-delà de l’imaginable. Pendant la guerre, chacun fut dans son rôle. L’entrée en guerre des États-Unis après Pearl Harbor, en décembre 1941, l’invasion de l’URSS en juin 1941, l’occupation japonaise en territoire chinois, indochinois, birman… L’endurance britannique, la résistance plurielle, la collaboration sous toutes ses formes, la mobilisation exemplaire de l’armée russe, les débarquements d’Alger (1942), de Sicile (1943), les camps d’extermination, Stalingrad 1943, le débarquement en Normandie, 6 juin 1944, Hiroshima et Nagasaki, 6 et 8 août 1945, la Libération…

Et la découverte de la catastrophe inouïe, impensable, indicible. Mais l’idéologie nazie sembla résister ; comme si la langue travestie s’était imposée telle une « science de l’esprit », un « habitus », pour reprendre l’expression empruntée à Benjamin (voir supra, chapitre 7). Après le déferlement des bombes sur l’Allemagne, sur Dresde en particulier, la langue du maître nazi s’est imprimée partout. On parle du peuple des campagnes porteur de « dispositions psycho-raciales [46]  ». Jusqu’à l’ultime bombe, à Dresde, on admire le portrait d’Hitler, « resté debout », au milieu des décombres d’immeubles effondrés où un pan de mur se détache en laissant voir, accroché à son flanc, le portrait. Klemperer stupéfait, de retour à Dresde, entend les commentaires autour de lui. Pire,



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