Légendes normandes by Gaston Lavalley

Légendes normandes by Gaston Lavalley

Auteur:Gaston Lavalley
Format: epub


IV

Vérité est, et je le di

Qu’amors vainc tout et tout vaincra,

Tant com cis siècle durera.

Henry d’Andely.

François était dans un véritable délire. Il parcourut le village en se frappant le front avec des gestes de désespoir. Quelques personnes qui le rencontrèrent eurent pitié de son état et lui offrirent de le ramener chez sa mère. Mais la vue des hommes lui était à charge, et, sans rien répondre, il s’enfonça dans le premier chemin qui s’offrit à lui, sans but, sans réflexion, en proie à une fièvre dévorante, désirant à tout prix la solitude.

La lune inondait la campagne d’une douce lumière. Il aperçut bientôt, à peu de distance, le bois témoin de ses amours. Le hasard – peut-être l’habitude – avait conduit ses pas vers le lieu ordinaire de ses promenades. Il entra sous les grands arbres, se laissa tomber près du banc de gazon sur lequel il s’était assis le jour même avec Marie et s’abandonna à tout l’excès de sa douleur, s’exagérant, comme tous les malheureux, la portée du coup qui venait de le frapper. Il se releva soudain, tout pâle, tout défait, et ne sortit du bois que pour commencer à travers champs une course insensée. Le désespoir, la colère, les mille passions qui l’agitaient avaient surexcité ses forces, au point qu’il semblait rire des obstacles et franchissait d’un pied sûr les fossés les plus larges et les haies les plus élevées. Après avoir couru ainsi pendant plus d’une heure, il fut tout surpris de se retrouver à l’entrée de Bretteville. Alors seulement il pensa à sa mère. Mais il craignit de l’effrayer en se présentant subitement devant elle, et cette crainte allait sans doute lui faire rebrousser chemin, lorsque l’idée lui vint qu’elle était peut-être endormie. Cet espoir le décida à rentrer pour prendre du repos ; car il se sentait à bout de forces et de courage. Il s’approcha donc de la maison et prêta l’oreille ; tout était silencieux. Il poussa doucement la porte ; la lampe brûlait encore, et sa mère, agenouillée dans un coin de la chambre, priait pour lui. Magdeleine l’avait entendu ; elle se retourna ; sans lui donner le temps de se lever, François se jeta dans ses bras. Jusque-là, il n’avait pas versé une seule larme. Maintenant les sanglots déchiraient sa poitrine. Il pleura longtemps ainsi sur le sein de sa mère.

– Oh ! comme je souffre, ma mère, dit François en s’affaissant sur un escabeau.

Alors seulement la pauvre femme s’aperçut de la pâleur de son fils et du désordre de ses vêtements.

– Mon Dieu ! dit-elle, que t’est-il arrivé ? Ton front est couvert de sueur, tes joues sont pâles, comme si tu allais mourir. Tu n’es pas querelleur pourtant, et je ne te connais pas d’ennemis...

– Je n’ai pas été blessé, dit François, et cependant je souffre plus que si j’étais à mon dernier moment. Je souffre là ! reprit-il d’une voix perçante en prenant la main de sa mère et en la plaçant sur son cœur.

Puis il baissa la tête et retomba dans un morne silence.



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