L’élève by James Henry

L’élève by James Henry

Auteur:James, Henry [James, Henry]
La langue: fra
Format: epub
Tags: CLASSIQUES
Publié: 2011-03-19T15:03:10+00:00


L’autel des morts

(La Revue de Paris, 1er novembre 1925.)

Traduction de Denyse Clairouin.

I

Il avait une mortelle aversion pour les anniversaires nébuleux, le pauvre Stransom, et les aimait encore moins quand ils prétendaient à quelque importance. Les célébrer ou les supprimer lui était également pénible et seule une célébration avait trouvé place dans sa vie : chaque année il avait observé à sa manière la date de la mort de Mary Antrim. Peut-être serait-il plus exact de dire que chaque année, au retour de cette date, le souvenir s’emparait de lui, obsession tyrannique qui empêchait Stransom de faire quoi que ce fût d’autre en ce jour. Il s’éveillait pour cette fête du souvenir aussi consciemment qu’il se fût éveillé au matin de son mariage. Le mariage n’avait eu naguère que trop peu à voir en la matière. Pour la jeune fille qui avait dû être son épouse, il n’y avait point eu de baiser nuptial. Elle était morte d’une fièvre maligne après que le jour du mariage eut été fixé. Il avait perdu, avant de l’avoir véritablement goûtée, une affection qui promettait de remplir sa vie.

Du bienfait de cette affection, toutefois, il eût été faux de dire que sa vie pût être réellement privée. Elle était encore régie par un pâle fantôme, encore ordonnée par une présence souveraine. Stransom n’avait jamais été l’homme des passions nombreuses, et même, à mesure que les années s’écoulaient, nul sentiment ne s’était autant accru en lui que le sentiment d’être intimement dépouillé. Il n’avait eu besoin ni de prêtre, ni d’autel pour consacrer un éternel veuvage. Il avait fait bien des choses en ce monde. Il les avait presque toutes faites à l’exception d’une seule : il n’avait jamais oublié. Il avait essayé d’introduire dans son existence tout ce qui eût pu en combler le vide. Mais il n’était pas parvenu à en faire autre chose qu’une maison dont la maîtresse était éternellement absente. Elle ne l’était jamais davantage qu’à chaque retour de ce jour de décembre qu’isolait la fidélité de sa mémoire. Les rites de la journée n’étaient pas arrangés d’avance, elle était entièrement à la merci des nerfs de Stransom qui le poussaient impitoyablement hors de chez lui. Le terme de son pèlerinage était éloigné. Elle avait été enterrée dans un coin de la banlieue de Londres, alors épargné par la civilisation et que Stransom avait vu d’année en année perdre jusqu’au dernier vestige de fraîcheur. À vrai dire, les moments qu’il y passait, étaient ceux où il avait le moins conscience du décor qui l’entourait. Ses yeux contemplaient une autre image, ils s’ouvraient à une autre lumière. Étaient-ils tournés vers un au-delà auquel il fût possible de croire, ou regardaient-ils vers un passé qui s’effaçait dans l’irréel ? Quelle que fût la réponse, c’était en tout cas une immense évasion hors de la réalité présente.

Il est vrai que s’il n’y avait pas dans la vie de Stransom d’autres dates, elle contenait pourtant d’autres souvenirs, et, dans sa cinquante-cinquième année, les souvenirs de cet ordre s’étaient multipliés.



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