L'A26 by Pascal Garnier

L'A26 by Pascal Garnier

Auteur:Pascal Garnier [Garnier, Pascal]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: littérature française
ISBN: 9782843044755
Google: mqZjPgAACAAJ
Éditeur: Zulma
Publié: 2009-03-11T23:00:00+00:00


— Il me dégoûte un peu plus chaque jour. Il est déjà bourré à dix heures du matin et chaque soir, j’ai droit à un savon, à cause d’un client qui m’a fait de l’œil, pour n’importe quoi. Tu veux que je te dise ?… Je voudrais qu’il crève.

— Ça viendra.

— Oui, mais quand ?

Jacqueline trace des grands huit à coup de lavette sur la toile cirée de la table. Bien qu’il ne reste plus une miette du déjeuner de Bernard, elle insiste comme si elle voulait effacer le motif à fleurs marron et jaune de la nappe ou bien quelque chose de plus tenace encore, la vie de Roland par exemple. Ses manches sont roulées jusqu’aux coudes. Bernard a toujours aimé ses bras, forts, les mains rougies par les vaisselles. Il fait bon dormir dans des bras comme ça.

— Tu ne m’écoutes pas, où es-tu ?

— Mais si, je suis là.

— Non, t’es là mais t’es pas là. T’as la tête des saints dans les églises, tu souris à tout mais tu ne vois rien.

— Je ne sais pas. C’est comme si je rentrais de voyage. Je reconnais les choses, les gens, mais tout a imperceptiblement changé, comme un calque sur un dessin qui aurait bougé d’un quart de millimètre. Je ne sais pas comment t’expliquer.

— T’as pas donné de nouvelles pendant une semaine. T’en as bavé ?

— Ce n’est pas le mot. Mais oui, j’ai bien cru que j’allais y passer. La mort monte, comme la mer, elle me frappe de plein fouet, une grande vague d’écume noire. Je me dis que c’est maintenant, mon sac est tout prêt dans ma tête et puis elle se retire. Elle reviendra.

— Tu n’as pas peur ?

— Non, plus maintenant. Quand j’étais gosse, en vacances, sur la plage, je m’entraînais à marcher les yeux fermés pour si un jour j’étais aveugle. C’est un peu la même chose.

— Tu y vas et tu en reviens, c’est ça ?

— Si tu veux.

— Moi, si j’y allais, je n’en reviendrais pas.

— On ne décide pas, on se laisse porter.

— Mais la douleur ?

— C’est ce qui nous maintient en vie. S’il n’y avait pas la douleur ou juste la peur de la douleur, tout le monde foutrait le camp au premier chagrin d’amour.

— Ça ne serait peut-être pas plus mal.

— J’en sais rien. Tant qu’on est là c’est qu’on a de bonnes raisons d’y être.

— Ben alors éclaire-moi parce que, en ce qui me concerne, j’en vois pas l’ombre d’une !

— Pourtant tu es là.

— Si peu !… Pourquoi, pourquoi, Bernard, on a passé notre temps à marcher à côté de notre vie ?

La lèvre inférieure de Jacqueline se met à gonfler, à trembler, ses yeux se troublent. Son visage est si près de celui de Bernard qu’il ne peut plus rien voir d’autre, comme s’il n’y avait plus au monde que ce visage de femme dévasté par le regret, saturé de fatigue. Il a l’impression de la regarder au travers d’une loupe, rides, poils, points noirs, c’en est presque indécent.



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