La vie mensongère des adultes by Elena Ferrante

Auteur:Elena Ferrante
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2020-05-19T14:57:52+00:00

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Corrado m’appela quelques jours plus tard pour me parler de ma tante. Vittoria lui avait ordonné de me répéter mot pour mot que, si je me permettais à nouveau de jouer à la maîtresse comme je l’avais fait avec cette lettre, elle viendrait chez moi pour me filer des claques devant ma connasse de mère. Alors, s’il te plaît, amène-lui le bracelet, me recommanda-t-il, elle le veut impérativement dimanche prochain, elle en a besoin pour parader dans je ne sais quelle occasion, à la paroisse.

Il ne se contenta pas de me transmettre le message de ma tante, il m’expliqua aussi comment nous devions nous organiser ce jour-là. Son ami et lui viendraient me chercher en voiture et me conduiraient au Pascone. Je rendrais le bracelet – Mais là, écoute bien : nous on s’arrête sur la place, et toi tu ne dis pas à Vittoria que je suis venu te chercher avec la bagnole de mon copain, n’oublie pas, hein, sinon l’autre, elle va péter un câble, alors il faut lui raconter que tu es venue en bus, et après ça nous irons nous amuser pour de bon. Ça te va ?

À cette période, j’étais particulièrement tourmentée, je ne me sentais pas bien et je toussais. Je me trouvais horrible et voulais être plus horrible encore. Depuis un moment déjà, avant d’aller en classe, je m’employais, devant le miroir, à m’habiller et à me coiffer comme une folle. Je voulais que les gens se sentent mal à l’aise à mes côtés, exactement comme moi je me sentais mal à l’aise avec eux, et je cherchais par tous les moyens à le leur faire comprendre. Tout le monde m’indisposait – voisins, passants, camarades, profs. Ma mère, surtout, avec la façon qu’elle avait de fumer sans arrêt, de boire du gin avant d’aller se coucher, de se lamenter mollement à propos de tout, et de prendre un air mi-inquiet mi-dégoûté dès que je disais avoir besoin d’un cahier ou d’un livre. Mais surtout, je ne supportais pas la dévotion toujours plus aiguë qu’elle manifestait désormais pour tout ce que faisait ou disait mon père, comme s’il ne l’avait pas trompée pendant trois lustres au moins avec une femme qui était son amie et l’épouse de son meilleur ami. Bref, elle m’exaspérait. Récemment, j’avais pris l’habitude d’ôter le masque d’indifférence de mon visage pour lui crier – et délibérément je le faisais à moitié en napolitain – qu’elle devait arrêter ça et qu’elle devait s’en foutre : Mais va au ciné, m’man, va danser, c’est plus ton mari, fais comme s’il était mort, il est parti vivre chez Costanza, pourquoi tu t’occupes de lui tout le temps, pourquoi tu ne penses qu’à lui ? Je voulais qu’elle sache que je la méprisais, que je n’étais pas comme elle et ne le serais jamais. Ainsi, un jour où mon père avait téléphoné et où elle avait commencé à lui répondre avec des formules dociles du genre « ne t’en fais pas, je m’en occupe

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