La vie me fait peur by Jean-Paul Dubois

La vie me fait peur by Jean-Paul Dubois

Auteur:Jean-Paul Dubois [Dubois, Jean-Paul]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Seuil
Publié: 2016-01-27T23:00:00+00:00


Si je ne parle pas de Vivien, c’est que, ce jour-là, je ne la vis pratiquement pas. Elle fut littéralement happée par sa famille et ses amis. A trente-sept ans, elle vivait ses noces comme une enfant. Je ne reconnaissais pas la conseillère de la Barclays.

Après l’interminable épisode religieux, tout le monde se retrouva aux abords du golf, dans les jardins de la maison de Crandon où d’immenses tentes de réception avaient été dressées. Sitôt rentré, j’avais enfilé des vêtements plus décontractés. Raoul, imperturbable, continuait à parader en tenue de grand deuil. Il s’entretenait avec Philip. Et Jean traduisait :

– Vous jouez au golf, monsieur Siegelman ?

– Il te demande si tu joues au golf.

– Non, non, je ne joue pas.

– Non, il dit qu’il ne joue pas.

– Vous devriez, c’est très bon pour le cœur. La marche est la meilleure façon de prendre de l’exercice.

– Il dit que tu devrais, que c’est bon pour ton cœur.

– Qu’est-ce qu’il a, mon cœur ? Il va très bien, mon cœur. De quoi il se mêle ? Dis-lui que le golf est un sport de philatéliste.

– Je ne sais pas comment on dit « philatéliste » en anglais.

– Débrouille-toi.

– Il dit que pour jouer au golf il faut beaucoup de patience. Autant que pour collectionner des timbres.

Ce n’était pas du tout ce que voulait dire mon père. Dans sa bouche, le mot « philatéliste » avait un sens bien particulier. Jean le savait très bien, mais il ne se voyait sans doute pas en situation d’expliquer à l’un des membres les plus éminents du Key Biscayne Country Club que Raoul Siegelman tenait le golf pour une activité de « trou du cul ». Alors, malgré l’aversion qu’il éprouvait pour son interlocuteur, Jean Güttman, dans un souci de concorde, privilégiait les ellipses dans ses traductions diplomatiques. Il connut cependant des moments difficiles, notamment lorsque, de sa voix snob et affectée, Philip demanda :

– De quelle origine êtes-vous, monsieur Siegelman ?

– Il demande de quelle origine tu es.

– Comment ça, de quelle origine je suis ? Français, pardi !

– Il dit qu’il est d’origine française.

– C’est drôle. Je vous aurais plutôt cru natif d’Europe centrale. A cause de votre façon de prononcer les « r » qui n’est pas très française. Il y a beaucoup de juifs à Miami. Et ceux qui viennent de l’Est ont un peu votre accent.

– Il dit qu’à ta façon de rouler les « r », il t’avait pris pour un juif d’Europe centrale.

– Demande-lui s’il a quelque chose contre les juifs.

– Raoul, je ne peux pas poser une question pareille. Tu ne vas pas commencer à faire des histoires. C’est le mariage de ton fils.

– Demande-lui.

– M. Siegelman dit que son accent particulier est propre à une région du Sud de la France, le Lauragais.

– Ah bon ? En Amérique aussi nous avons des différences de cet ordre. Les Texans, par exemple, ont une prononciation et des intonations impossibles.

– Qu’est-ce qu’il dit ?

– Rien d’important. Qu’il y a des accents très marqués dans certains coins des États-Unis.



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