La Valse sans fin by Mayumi Inaba

Auteur:Mayumi Inaba
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Picquier
Publié: 2019-08-20T22:00:00+00:00

Sans pouvoir me l’expliquer, j’étais persuadée que je ne pourrais plus jamais être enceinte, cette idée était ancrée en moi depuis longtemps. Des règles irrégulières, de temps en temps une douleur fulgurante dans le bas-ventre, mais plus que tout, les avortements répétés me persuadaient que j’avais tout raté. Quand mon bas-ventre me faisait souffrir, j’en arrivais à trembler à l’idée que les petites masses de chair des bébés que je n’avais pas réussi à éliminer s’étaient développées et je revoyais l’image funeste des cliniques louches qui fuyaient les regards dans les petites rues de derrière. Mais ce n’était qu’une souffrance passagère. Les violentes disputes, la drogue et l’alcool n’empêchaient pas le débordement de la vie. Les nausées m’obligeaient à me précipiter aux toilettes plusieurs fois par jour et je sentais l’afflux d’un liquide neuf et frais se répandre partout dans mon corps. Mes seins étaient alourdis par le lait qui montait et qui me donnait par vagues des douleurs aiguës. Mes reins et mes artères faisaient couler dans mon corps une nouvelle vie. Mon cœur aux battements faibles frappait des coups de plus en plus forts.

Il me fallait renoncer à la drogue, à l’alcool aussi… En même temps, je tremblais. Car je comprenais que pour protéger cette nouvelle vie, je devais renoncer à trop de choses.

C’était à l’automne dernier. Lorsque j’ai senti les premiers symptômes, je suis allée non pas dans une petite rue à l’abri des regards, mais dans un grand hôpital tout blanc du cœur de la capitale. Tandis que j’attendais mon tour dans la salle d’attente remplie de femmes, j’évoquais plusieurs visages de femmes qui en appelaient à la liberté de l’avortement. La pilule, les mères célibataires, la liberté de ne pas avoir d’enfant. L’émancipation des femmes, la reconnaissance de l’enfant, les allocations… Autant d’expressions qui remplissaient des pages entières dans les revues féminines. L’injustice de la société, les regards méprisants envers les femmes qui se révoltaient contre les inégalités, et dans cette salle d’attente, des femmes au ventre si gonflé qu’on s’attendait presque à les entendre crier des douleurs de l’enfantement, attendaient timidement leur tour. Robe de maternité au col orné de dentelle, charmante robe à petits carreaux… Doucement blotties dans leur vêtement, elles regardaient tendrement le bleu du ciel d’automne qui s’étendait au-delà des hautes fenêtres. « La liberté de ne pas mettre d’enfant au monde est-elle nécessaire pour les rapports amoureux », je me posais la question tout en réfléchissant à la nouvelle vie qui était en moi et en regardant distraitement le visage des jeunes femmes autour de moi. Assises sur des sièges durs, les pensées qui les habitaient n’étaient pas des souvenirs d’histoires de lit, c’étaient des souvenirs d’instants amoureux. Je le voyais clairement.

Je ne savais pas si j’aimais Kaoru. L’amour existait-il ou non, c’était ambigu. La violence, l’alcool, la drogue traversaient notre vie impure, mais il y avait des instants où les draps brillaient d’un éclat neuf. Dans ces instants, j’accueillais les frissons névrosés de son sexe, et sous lui, je devenais une masse de chair docile et tendre.

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