La Tristesse du roi by Chambaz Bernard

La Tristesse du roi by Chambaz Bernard

Auteur:Chambaz, Bernard [Chambaz, Bernard]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Seuil
Publié: 1997-08-22T22:00:00+00:00


Et c’est incroyable comme on s’habitue vite. A être trois au lieu de deux. Quatre au lieu de trois, et ainsi de suite. Alors que dans l’autre sens on ne s’habitue pas. A en croire les vieux et moins vieux, volubiles ou taiseux, qui voient la famille se disperser aux quatre coins du canton et du monde. Jean parle au petit bonhomme bleu ciel comme si c’était un copain de longue date et comme s’il pouvait comprendre. D’ailleurs, il comprend. Au moins qu’on lui parle. Et – très approximativement – qu’il dormira là, dans un autre couffin, plus vaste, sous un portrait du Che et le bouquet de marguerites acheté exprès.

Pendant que Jean prépare le café dans la Moka-express, Irène contemple la banderole de bienvenue qu’il a posée devant la fenêtre. Elle est à la fois émue, par l’idée, et surprise par le résultat. D’ordinaire, Jean était un des derniers sur qui compter pour confectionner un calicot, non par mauvaise volonté mais il y avait toujours quelque chose qui clochait, des agrafes ineffables qui se détachaient au premier coup de vent, des slogans illisibles, un ensemble forcément de guingois. Or, cette fois-ci la banderole ne révèle pas d’anicroche, la pièce de drap blanc bien découpée et bien fixée aux montants, le texte et les dessins impeccablement composés, BIENVENUE À MARC en lettres majuscules, entre DÉSIRE TON DÉSIR (anonyme) au-dessus et IL EST D’AUTRES VIES (Rimbaud) au-dessous, transformant au passage EST-IL en IL EST et le point d’interrogation en une certitude confirmée par ce 1er avril et magnifiée par des personnages de cirque, un clown à droite, une trapéziste à gauche, en haut un soleil aux rayons épais et réguliers comme en vacances et jaune comme sur un cahier d’écolier. Avant que le café ait fini de passer, Jean raconte à Irène la nuit – l’avant-veille – où il s’est lancé sans rien avoir préconçu dans cette aventure, son ardeur, le choix des citations et des personnages, les tâtonnements, les restes des vieux tubes de peinture, le citron japonais épuisé, le white spirit pour effacer une tache ou deux, le souvenir des banderoles flottant dans les manifs depuis la fin des années cinquante et au cinéma depuis le début du siècle et des bannières et oriflammes éclatantes et pancartes très humbles depuis la création.

Marc dort déjà. La vie continue. Irène et Jean s’embrassent et discutent. De tout et rien. La conversation idéale, quand la philosophie frôle les abîmes du quotidien. Qu’est-ce qu’on fait ce soir ? Voilà la seule chose qui ait changé. On ne pourra plus sortir impromptu le soir, ni cinéma, ni réunion, ni balade ou alors pas en Solex.

Et ce soir ? Jean ne sait quelle décision prendre par rapport au rendez-vous du comité. A force d’hésiter, il hésite aussi à en parler à Irène. J’y vais-j’y vais pas, il se complique l’existence, attend le bon moment, revient à la banderole, évoque les premières qu’il ait vues, dont il se souvienne vraiment, par des détails irréductibles, la peur



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