La solitude des tabernacles by Fernand Tomasi

La solitude des tabernacles by Fernand Tomasi

Auteur:Fernand Tomasi
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Memory
Publié: 2015-01-08T00:00:00+00:00


Lettre de Laure quand André venait de retourner au Canada.

André,

Depuis ton départ, je te cherche. Nous n’avons pas pris le temps de venir ensemble dans cette basilique des champs. Tu en avais émis l’idée. Nous recueillir ensemble en ce lieu où tant de pèlerins sont venus depuis le moyen âge mendier au ciel un réconfort, un miracle de roseur de joues sur des poupons mort-nés. Je voudrais que ressuscite notre amour ancien, éteint avant sa maturité.

Intérieur de restaurant, politesse avec les serveurs et les autres convives. Me voilà seule. J’ai thésaurisé ton regard, tes gestes. Ils n’ont pas encore fui ma mémoire. Mais déjà ils s’allègent de leur poids de réel. Ils sont nuages légers de l’âme.

Avioth. Je pèse Avioth comme tout le réel quotidien en me demandant ce qui en vaut la peine. Ces sanctuaires font remonter en moi des émotions d’encens, de chants grégoriens, de crèches aux parfums d’épicéas, d’enfants en contemplation devant l’ange de plâtre qui incline la tête pour remercier de la menue monnaie introduite dans la fente de son plateau. Guirlandes, étoile argentée, neige craquante sous les pas de la nuit de Noël.

Il me plaît de visiter ces constructions de pierre, comme un retour aux grottes profondes où fermentait la spiritualité, cet effort de conquérir l’esprit, de l’utiliser comme un véhicule vers des dimensions que, seuls le pied, la main ne pouvaient atteindre. Et toute cette grandeur était dans l’élan, dans ce désir de dépasser la chair, l’espace, le poids. Je sais que sous ces voûtes, grottes reconstituées, où les pierres taillées se soutiennent par la force même de leur masse, je rejoins tout un peuple passé, libre de venir chercher sa force personnelle que lui révélait la communion avec les êtres souffrants.

Me voici au cœur de la pierre, vêtue de ce large manteau séculaire. Vêtement de seconde main, de millième main. Fraîcheur des carrières profondes sur le bois des bancs vides. Dans un silence total. Dans un isolement qui était le but de ma promenade par les collines, les champs, les forêts sages. Par-delà cette ligne frontalière invisible. Il suffit d’un voyage ici ou là pour découvrir sur notre vieille terre des restes de civilisations ruinées par des querelles sauvages. Puis laminées, dispersées, labourées par ce besoin des hommes d’oublier ce passé et de reconstruire sur des cendres.

J’étais assise à l’entrée du chœur. J’imagine les psaumes, les prières pour les morts. Ces derniers ont été le mortier de ces constructions dès le dernier hommage qu’on leur a rendu en les enfouissant comme des graines d’éternité.

Tu t’es assis silencieux à ma gauche. Tu as posé ta main sur ma jambe. Je tiens les yeux fermés. C’est pour cela que je te vois, te sens, te vis. Je n’ai plus rien à regarder en dehors de moi. Comme on ne voit plus que la bande sombre de la route quand on roule de nuit. Je suis sculpture de marbre aux paupières scellées que le ciseau ne séparera pas. Je les garderai dans ce calme de tombe que procure cette construction de pierre.



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