La solitude Caravage by Yannick Haenel

La solitude Caravage by Yannick Haenel

Auteur:Yannick Haenel [Haenel, Yannick]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française
ISBN: 9782213708126
Éditeur: Fayard
Publié: 2019-02-19T23:00:00+00:00


CHAPITRE 33

Le mystère d’iniquité

C’est à partir du Martyre de saint Matthieu, dont la conception a été longue et compliquée, contrairement à La Vocation, qui sera peinte d’un seul jet, que la violence devient l’objet même de la peinture du Caravage ; elle giclait certes déjà à l’intérieur de la chambre rouge où Judith tranche la tête d’Holopherne, avec une ampleur d’expressivité aussi précise qu’épouvantable, mais, dans la main de la belle Judith qui par son geste délivrait Israël, l’épée prenait valeur de justice : comme une sainte, elle terrassait un dragon.

Le Caravage passe une année, entre 1599 et 1600, à peindre, pour la chapelle Contarelli, Le Martyre et La Vocation (auxquels s’ajouteront deux ans plus tard Saint Matthieu et l’Ange) ; et c’est là, aux prises avec ces deux tableaux – et avec un sujet doublement sacré –, qu’une chose cruciale se joue pour lui, qui relève de la vocation même de la peinture : on peut considérer en effet qu’après avoir exécuté une série de tableaux extravagants, pleins d’éclats et tout animés d’ironie sexuelle, il entre dans une dimension plus fondamentale de l’art, celle à laquelle ouvre l’extase, où vie et mort se déchirent passionnément, s’étreignent d’amour et peut-être de haine.

Dans un premier temps, le Caravage écarte le rideau qui donne sur la chambre où Judith décapite Holopherne ; il s’introduit dans le domaine obscur du sacrifice, mais depuis la nervure de l’érotisme : Judith tue, mais elle est désirable ; puis le voici qui retourne les usages de la peinture dite religieuse en imposant sur les murs de la chapelle Contarelli l’huile sur toile plutôt que les mortiers employés habituellement pour de telles surfaces : en peignant Le Martyre et La Vocation, il substitue aux visions pâlottes, qui décorent habituellement a fresco les murs d’église, l’affirmation d’un clair-obscur apte à recueillir les conditions de violence chromatique favorables au surgissement d’une nouvelle peinture, celle qu’il a depuis des années en tête et qu’il va enfin pouvoir accomplir publiquement.

Lorsqu’on découvre pour la première fois La Vocation de saint Matthieu, qu’on connaisse ou non le Caravage, qu’on l’aime ou pas, le choc est incontestable : plus encore que lorsqu’on découvre Rembrandt ou Vermeer, on est renversé par ce que Jean-Christophe Bailly nomme, à propos de ce tableau, une « solitude inaugurale » ; même en 2019, au hasard d’une visite touristique à Rome ou d’un voyage sentimental, on se dit qu’on n’a jamais vu ça.

Et ce n’est pas seulement parce que le Caravage ose inclure dans la peinture « sacrée » ces corps populaires, cette Rome de taverne qui apparaît dans le cadre aux côtés du Christ et de ses apôtres ; ni parce que, sans se soucier d’une quelconque hiérarchie de valeurs, il introduirait du « réalisme » là où ses collègues s’aveuglent dans l’esthétisation éthérée de la manière ou se fourvoient dans la platitude convenable : ce qui fait la différence, ce qui nous saute aux yeux, nous requiert immédiatement, et même nous appelle, c’est l’événement.

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