La revenue by Donatella Di Pietrantonio

La revenue by Donatella Di Pietrantonio

Auteur:Donatella Di Pietrantonio [Pietrantonio, Donatella Di]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Seuil
Publié: 2018-01-14T23:00:00+00:00


21

Nous avons regagné l’appartement glacial. Cette nuit-là, la neige avait fait une apparition précoce sur les montagnes et, depuis quelques heures, le vent cinglait la vallée. Les carreaux des fenêtres branlantes tintaient, des courants d’air traversaient les pièces. La voisine, qui avait gardé Giuseppe pendant l’enterrement, l’a ramené, mais quand elle s’est approchée de la mère, le petit dans les bras, cette dernière s’est détournée. Adriana n’en a pas voulu non plus. C’est donc moi qui l’ai pris. Je me suis assise sur une chaise et j’ai appuyé ma tête contre le mur. Je le portais sans produire d’effort, ou presque. Devinant que je n’étais pas fiable, il s’abstenait de bouger. Les femmes des autres étages avaient disposé sur la table l’habituel consolatoire – nourriture et boissons. J’ignore si l’un de nous y a touché.

Au bout d’un moment, Giuseppe a montré des signes d’agitation : il avait envie de descendre. Il s’est traîné jusqu’à sa mère vêtue de noir et a levé vers elle de grands yeux interrogateurs. Elle l’a certainement vu, du haut de sa désolation. Elle l’a contourné pour aller s’étendre sur le lit et elle y est restée jusqu’au lendemain après-midi. Les voisines lui ont proposé à tour de rôle une tasse de bouillon chaud, comme après ses accouchements, mais elle grimaçait à chaque fois.

Au cours des jours suivants, elles nous ont, l’une après l’autre, invités à manger chez elles. Pour ma part, je préférais me débrouiller sur place avec un sandwich ou ce qu’Adriana me rapportait de leurs cuisines.

La nuit, j’avais l’impression d’entendre Vincenzo remuer entre les draps, et alors la mort n’avait été qu’un rêve, ou une bonne plaisanterie. Parfois c’était son odeur qui se répandait dans la chambre. Le retour à la réalité de l’absence était affreusement dur. Son souffle sur mon visage m’a aussi réveillée en sursaut, comme lorsqu’il était venu me retrouver dans le noir.

Il n’était pas le seul à occuper mes heures d’insomnie. Au cimetière, je pensais n’avoir guère remarqué mon père, mais son visage à moitié couvert de barbe revenait, insistant, à mon esprit. Ses yeux sévères, ou plutôt déçus. Il avait renoncé à me parler, j’en étais certaine. Il craignait peut-être que je ne le supplie encore une fois de me ramener chez nous, à moins qu’il n’y eût quelque chose de plus dans son regard. Le fardeau d’un reproche tu. Et si c’était lui qui avait décidé de me rendre ? Je n’avais jamais envisagé une telle éventualité. Mais quelle faute pouvais-je avoir commise ? Lui avait-on parlé d’un baiser dans les couloirs du collège ? Pas assez pour se débarrasser d’une fille – je le comprenais malgré ma jeunesse et les divagations que la nuit aggravait. Si j’avais un jour fait une erreur, je n’en avais aucun souvenir.

Au début, la mère passait la plupart de son temps au lit, couchée sur le côté, les yeux ouverts. Giuseppe voulait demeurer près d’elle, il ne la gênait pas. Les seins qu’il tétait encore deux jours plus tôt s’étaient taris, aussi restait-il blotti contre elle, dans cette chaleur passive.



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