La Réserve by Russell Banks

La Réserve by Russell Banks

Auteur:Russell Banks [Banks, Russel]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Actes Sud
Publié: 2014-10-14T00:00:00+00:00


En arrivant près de la maison de campagne, Vanessa se mit à ramer plus vite. Par-dessus son épaule, elle jeta un coup d’œil au rivage, cherchant à éviter les pointes rocheuses qui s’avançaient dans l’eau des deux côtés de l’endroit où elle allait accoster. Puis elle examina la terrasse et le terrain autour de la maison en espérant quelques secondes que tout n’avait été qu’une hallucination ou un rêve, qu’elle allait voir sa mère et peut-être même son père debout sur la terrasse, habillés pour le dîner, un verre à la main, en train d’attendre son retour avec inquiétude. Depuis la réunion à New York dans le bureau de l’avocat, Vanessa avait eu l’impression d’être en proie à l’un de ces rêves effrayants sans queue ni tête, dans lesquels on sait qu’on rêve – c’est évident, parce que tout nous échappe, tout est imprévisible, et l’on se sent coupable d’un crime obscur qui n’a pas de nom – mais dont on n’arrive pas à s’extraire en se réveillant.

Elle pria de pouvoir se tirer de ce cauchemar. Et elle y parvint. Sa mère était assise avec grâce sur la coque d’un canot des Adirondacks renversé ; elle avait les jambes nues et croisait les chevilles. Elle sirotait du champagne dans une flûte de cristal. Elle portait au poignet un simple bracelet d’or. De loin, Vanessa admira la pose douce et vaguement songeuse de sa mère, sa manière de regarder la rive rocheuse comme si elle se rappelait quelque chose qui l’amusait, et Vanessa décida que c’était la robe qui lui donnait cet air si adorable, une robe Muriel King de couleur crème, décolletée et sans ceinture, qui lui tombait tout droit des épaules. La robe, mais plus encore cette manière toute naturelle d’être plongée dans des pensées personnelles. Quelle belle femme, se dit Vanessa. Un jour, je serai aussi belle. Un jour, je saurai m’habiller comme elle. Un jour, je saurai avoir sa façon de penser. Puis elle aperçut son père. Il était debout sur la terrasse. Il était habillé pour le dîner. Il avait les mains jointes derrière le dos et se balançait très légèrement sur ses talons, regardant avec fierté et une satisfaction bon enfant sa femme, là-bas sur le rivage, comme s’il l’avait créée, comme si c’était un tableau ou une photographie dont il aurait été l’auteur. Rien d’impatient, chez lui, rien d’agité – il s’était juste arrêté un moment pour regarder sa femme avec tendresse et beaucoup de plaisir sans qu’elle le sache, sans qu’elle pose ou qu’elle se soucie de lui plaire.

Mais la terrasse était déserte, il n’y avait personne sur le rivage, pas même de canot, et nul ne marchait entre les grands pins qui entouraient la maison. Elle n’avait pas rêvé. Son père était mort. Et elle avait en effet commis un crime obscur et innommable. Pour la première fois depuis qu’elle avait emmené sa mère de force à Rangeview où elle la gardait prisonnière, Vanessa était terrifiée par ce qu’elle avait fait.

Jusqu’alors, chaque



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