La raison gourmande by Michel Onfray

Auteur:Michel Onfray [Onfray, Michel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: essai
ISBN: 9782246780335
Google: 7Jih48k8TM8C
Éditeur: Grasset
Publié: 1995-02-21T23:00:00+00:00

Les mythologies qui entourent la généalogie du café, son développement et sa pratique laissent entendre, à plusieurs reprises, une parenté métaphysique et spirituelle avec le thé comme boisson stimulante et excitante. Cette fois-ci, les protagonistes sont yéménites, d'aucuns parlent des traces et du passage des Abyssiniens pour expliquer les plantations de caféiers en terre arabe. J'aimerais que la plante ait germé la première fois chez les Ethiopiens, pour le souvenir et la mémoire que j'ai de la beauté sublime de leurs visages et de leurs peaux. Disons que l'histoire se déroule au point de jonction entre l'Arabie et l'Afrique, sur le versant des terres effondrées dans la mer Rouge. C'est là que des religieux musulmans retirés en un monastère, la fable précise qu'il s'agit de Chehodet, prient et paissent leurs troupeaux de chèvres qui donnent le lait de leurs fromages et la peau de leurs vêtements. Sur les terres brûlées, les animaux broutent ce qu'ils trouvent : le tussilage et la sauge, le mimosa, le genêt ou le câprier.

Un soir, comme toujours dans les mythes où il faut un moment qui bascule et enseigne, le troupeau est affolé. Les moines constatent que les animaux ne dorment pas, qu'ils sautent partout, grimpent, bondissent. Leurs cabrioles extravagantes sont inhabituelles car, en temps normal, comme les religieux qui les gardent, les chèvres passent la nuit à récupérer des fatigues accumulées dans la journée sous le soleil brûlant. L'excitation est manifeste, l'absence de sommeil également. Sciadli et Aidrus, bergers curieux de résoudre l'énigme, s'inquiètent de la nourriture des animaux et découvrent un caféier aux branches abîmées par le troupeau qui a consommé force baies. Les pâtres rapportent des branches avec leurs fruits à l'imam qui préside aux destinées du monastère : il goûte la cerise, déplaisante en fruit frais, la grille, l'écrase, la pile, ajoute de l'eau bouillante et invente, presque d'un seul coup, le café d'aujourd'hui. Les voies de l'imam sont impénétrables, car on ne sait pour quelles étranges raisons, sans aucune autre forme de procès, il aurait mis au point, si vite et si parfaitement, l'ensemble des gestes nécessaires à la préparation d'un café digne de ce nom. Les musulmans ont de ces talents! Mais peu importe : l'islam a inventé son breuvage, pourvoyeur des saines fusées de l'esprit qui permettent une raison lumineuse, une architecturation permanente du réel. Les Arabes sont peuples des mathématiques modernes, de l'architecture géométrique, de l'abstraction conceptuelle – et du café qui les permet. Le monastère fit le premier les frais de l'imam : il fallait en effet conserver l'esprit frais et la disponibilité mentale des frères conventuels. La consommation de la décoction avait mis le religieux dans un bienheureux état d'exaltation physique, ses idées étaient fulgurantes, sa capacité à réfléchir stimulée. Comme avec le thé, le sommeil se trouvait congédié. A minuit, alors qu'il était le seul à avoir goûté du breuvage, il était dans une forme éclatante pour la prière au cours de laquelle ses semblables en dévotion devaient lutter pour ne pas sombrer et s'abandonner dans les bras de Morphée.

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