La Prophétie des marguerites by Alain Léonard

Auteur:Alain Léonard
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: De Borée
Publié: 2021-08-12T00:00:00+00:00

Lavelle, dont la canne frappait nerveusement le sol, traversait l’atelier d’un pas rapide sans répondre au salut des ouvriers qu’il croisait dans l’allée. Il n’avait pas cette fois-ci ôté son chapeau en pénétrant dans l’usine. Il n’accorda pas un regard aux machines qui démarraient bruyamment et gardait les yeux rivés sur le sol en ciment.

– Il a la tête des mauvais jours, chuchota Amblard en suivant la silhouette massive du patron qui montait l’escalier de fer.

En passant devant le bureau, il fit signe à Blanc de le suivre.

– On m’a informé d’un mouvement de contestation. Êtes-vous au courant, monsieur Blanc ? demanda-t-il sans préambule en accrochant son chapeau et son manteau à la patère derrière son bureau.

– Je l’ai appris, effectivement. Des ouvriers, aux Trois Coqs, avant-hier soir, qui se sont monté la tête à grand renfort de boisson. Il était question d’arrêter le travail, et d’empêcher les fileuses d’entrer dans les ateliers. Une augmentation de salaire semble être la plus importante de leur demande.

– Oui, je vois, toujours la même histoire. Vous a-t-on donné les noms ?

– Je les ai, oui. Mais…

Le secrétaire semblait visiblement ennuyé.

– Mais quoi ? s’énerva Lavelle. Parlez donc !

– Parmi eux, il y a Marius Bériaud, le cousin de madame votre épouse. On dit même que ce serait le plus virulent. On m’a averti qu’il y avait trois autres meneurs, des mécaniciens. J’ai leurs noms également.

Lavelle resta un moment interdit. Il abattit un poing rageur sur le bureau, faisant légèrement trembler sa moustache.

– Bériaud ? Ah, le petit salaud ! J’embauche ce vaurien pour faire plaisir à ma femme, il mange à ma table et voilà ma récompense. Elle est belle, la famille ! Je pensais que le renvoyer de l’appartement de l’usine lui aurait fait comprendre de ne pas s’acoquiner avec les faiseurs d’histoire, ces soi-disant socialistes, ces fripouilles d’anarchistes qui veulent remettre en cause l’ordre établi. Mais apparemment, non. Il n’a visiblement pas entendu le message.

Il réfléchit un instant.

– Les autres savent-ils qu’il est le cousin de mon épouse ?

– Je pense que oui, patron. En tout cas, cela a été lancé une fois dans la conversation. Et ça a même failli déclencher une bagarre entre eux.

Lavelle lissa sa barbe d’un air pensif.

– Alors tant mieux, c’est une bonne chose. S’ils voient que je n’hésite pas à renvoyer un membre de ma belle-famille, voilà qui leur donnera à réfléchir. Convoquez-le, remettez-lui son livret. N’y mentionnez pas le motif de renvoi, il ne retrouverait pas de travail. Aucun autre patron ne l’embauchera si c’est une question de politique. Je tiens quand même à rester humain et je ne voudrais pas que mon épouse me tienne rigueur de le condamner à l’indigence.

Le secrétaire approuva.

– C’est un beau geste, en effet, commenta Blanc, qui ne manquait jamais l’occasion de flatter sa hiérarchie.

Lavelle frappa son bureau du plat de la main.

– Mais qu’il soit parti dès ce soir. Et que les trois autres soient surveillés de très près. Faites en sorte qu’ils le sachent. Et s’ils

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