La préhistoire by Pincas Éric

Auteur:Pincas Éric [Pincas, Éric]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Perrin
Publié: 2020-06-09T07:20:39+00:00

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Nos ancêtres étaient-ils des charognards ?

« La mauvaise réputation du charognard est déjà faite dès la naissance. »

Proverbe burkinabé.

Aux premières lueurs du jour, l’atmosphère est encore lourde et menaçante. L’orage s’est éloigné, mais on l’entend encore gronder de l’autre côté du mont chauve, arasé par les vents. Tout là-haut dans le ciel, les vautours, attirés par l’odeur du sang, ont commencé leur danse macabre… Ils arrivent trop tard. Au pied de la falaise, sur les berges sablonneuses de la rivière, les hyènes enragées sont déjà à pied d’œuvre. De leurs mâchoires surpuissantes, les dents aiguisées comme des couteaux, elles déchirent le cuir encore chaud du bison qui s’offre en festin. La pauvre bête, prise au piège de la tourbière située plus en amont, s’est laissé happer par la furie des eaux, terminant sa course la tête fracassée sur un rocher. Les félins n’ont besoin que de quelques minutes pour prélever les meilleures chairs avant de déguerpir le museau maculé de sang. Les vautours croient alors leur moment venu. Mais leur vol en piqué à peine amorcé, les voilà stoppés net par l’incursion de deux hommes aux larges épaules et à la silhouette robuste. Tapis dans les hautes herbes, ils ont guetté le départ de leurs rivaux pour se précipiter à leur tour sur la carcasse éventrée, prise d’assaut par une nuée d’insectes. Les yeux exorbités, des spasmes nerveux déformant leur bouche, ils poussent des grognements tout en arrachant les viscères de l’animal de leurs doigts rougis aux ongles griffus. Agrippés aux lambeaux de chair, ils rognent la viande avec voracité, lèchent la moindre goutte de sang qui pourrait leur échapper. Soudain, craignant l’irruption d’autres félins, ils écourtent leur repas avant de disparaître dans l’enchevêtrement des roseaux bordant la rivière. Il est grand temps pour les vautours de passer à table…

De fait, nos ancêtres, au moins depuis 2 millions d’années, furent des charognards intermittents avant de devenir des chasseurs émérites. Il faut toutefois effacer de notre esprit cette image bestiale et caricaturale d’un homme opportuniste, soumis à ses instincts les plus primaires, laissant aux félins le soin de procéder au vil travail pour jouer ensuite les pique-assiettes. Car comme l’explique Pascal Depaepe, docteur en préhistoire, « le charognage est “raisonné” lorsqu’il est l’expression d’une pratique inscrite dans une stratégie d’occupation et d’exploitation de l’environnement », ce qui fut souvent le cas des hommes du paléolithique moyen entre 350 000 ans et 45 000 ans avant notre ère. L’archéologie nous en fournit des preuves éclatantes.

En 2010, j’ai eu la chance de pouvoir passer une journée à observer le travail des archéologues de l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) sur le site de Tourville-la-Rivière, en Normandie. Dans cette carrière exploitant les alluvions de la Seine, un certain nombre de silex ont été mis au jour dans les années 1960. Mais cette fois, les découvertes ont dépassé toutes les espérances. Sur un espace d’un hectare et sur une séquence géologique de 35 mètres, les archéologues sont allés de surprise en surprise. Ils ont

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