La position du tireur couché by Jean-Parick Manchette

Auteur:Jean-Parick Manchette [Manchette, Jean-Parick]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier
Publié: 1981-02-02T23:00:00+00:00

14

— Eh bien, c’était seulement déboîté, dit le médecin de garde dont Terrier avait trouvé l’adresse sur une liste à la devanture d’une pharmacie fermée. Vous l’avez redressé vous-même ? demanda l’homme. Sérieusement ?

— Oui.

— Bravo. Vous êtes stoïque, mon petit vieux.

Selon le médecin, il n’y avait pas lieu de plâtrer. Il démontra à Terrier comment agencer une bande élastique de manière que le doigt enflé soit immobilisé fermement.

— Je sais, fit Terrier.

Il s’en alla avec son cliché radiographique et une ordonnance pour un baume anti-inflammatoire et des capsules antalgiques ; il jeta le cliché dans une bouche d’égout, acheta les médicaments dans une pharmacie de garde et regagna l’hôtel en métro. Anne dormait. Elle pleurait dans son sommeil. Terrier la considéra. Il avait une expression anxieuse et perplexe. Comme la jeune femme continuait de gémir d’une manière enfantine et misérable, il la prit par les épaules. Elle était nue dans le lit. Il la secoua légèrement. Elle ouvrit les yeux et le regarda d’un air perdu, puis elle s’essuya les yeux avec les poings, le regarda encore et sourit d’un air malin.

— Au lit, dit-elle. Viens dans le lit.

Entre le lit et le mur, Terrier vit une bouteille de Hennessy à moitié vide. L’élocution d’Anne était imprécise. L’homme se redressa et lui tourna le dos.

— Essaie de m’écouter, commanda-t-il. Il va falloir nous séparer provisoirement. Demain après-midi, mes employeurs sauront qu’ils peuvent me joindre ici. Je préfère te tenir à l’écart de tout ça.

— Me tenir à l’écart, répéta Anne. Elle est bonne !

— Sérieusement.

— Je suis une grande fille, tu sais.

— Oui, je sais. Mais s’ils savent où tu es, ça leur fera un moyen de pression sur moi.

— Ah, dit Anne d’un ton dédaigneux. Et où est-ce que je suis censée aller ?

— Près de Larchant. C’est au sud de la forêt de Fontainebleau. J’ai un ami qui a une maison là. Je crois que je peux compter sur lui.

— Tu es très organisé.

— Malheureusement non. (Terrier jeta un coup d’œil à Anne, par-dessus son épaule.) Il faudra que tu restes assez longtemps seule. Mais mon ami passe les week-ends là-bas. Tu n’as rien contre les Noirs ?

— Quoi ?

Anne paraissait stupéfaite. Terrier répéta.

— Parce qu’il l’est, précisa-t-il. Mon copain, c’est un Noir.

— Mais pour qui est-ce que tu me prends ?

— Je ne sais pas. Je te connais très mal, dit doucement Terrier.

— Viens dans le lit.

— Je ne sais pas. (Le ton de Terrier était indécis, puis sa voix se raffermit :) D’abord il faut régler les questions pratiques.

Anne s’assit dans le lit, ce qui découvrit ses seins nus qui étaient encore beaux. Cependant ils étaient lourds et commençaient de fléchir. Elle saisit la bouteille de cognac.

— Combien de personnes as-tu tuées ? demanda-t-elle.

— Tu ne vas pas encore boire ! Il faut régler les questions pratiques ! Les questions pratiques ! répéta Terrier avec nervosité. (A présent, les mains dans les poches, il faisait face à Anne en se balançant avec impatience sur les talons.

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