La plume rouge by Unknown

Auteur:Unknown
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782897588557
Éditeur: Guy Saint-jean Editeur
Publié: 2020-01-18T00:00:00+00:00

14

Les jours passent et Guillaume est malheureux. Il ne sait que faire pour se rapprocher de sa demoiselle. Marguerite est amicale envers lui, souvent familière, cependant elle ne s’abandonne jamais tout à fait. Un mur invisible les sépare et il sent le gouffre quasi infranchissable qui existe entre eux. Elle accepte son aide, sa poigne solide, son bras réconfortant de temps à autre, mais c’est tout. Chaque soir, elle s’allonge près de lui, enroulée dans son édredon, séparée de lui par l’espace d’une main tendue aussi large qu’un bras de mer. Elle dort paisiblement comme une enfant. Lui, il reste éveillé, la regardant durant des heures à la lueur des braises ou de l’aurore, étouffant son désir de la rejoindre et d’enfin la serrer contre lui. Il ne sait que penser, partagé entre douceur et frustration, incapable de lui imposer cet élan qui le brûle comme un brasier. Comment une jeune demoiselle d’aussi bonne famille pourrait-elle l’aimer, lui, ce survenant solitaire dont elle ne sait rien et qui surgit dans sa vie avec tant d’espoirs informulés ? Alors il se lève à la première barre du jour et s’éloigne à grandes enjambées loin de la tentation constante qu’elle représente.

Lorsqu’il revient au bivouac, calmé et résigné à la patience, elle l’attend près de l’âtre, les cheveux emmêlés et les yeux encore ensommeillés, plus charmante que jamais. Ils récitent ensemble une prière, mangent ce qui reste de la marmite du soir et font des plans pour leur journée. Il rapporte toujours quelque chose de ses expéditions matinales : lagopède, canard marin, lapin, œufs, poisson de rivière et même parfois une poignée de ces petits fruits noirs et sucrés dont elle raffole et qui commencent à mûrir à profusion autour d’eux. Leur terre est prodigue de ses cadeaux, et jamais le marin n’a mangé aussi bien de sa vie.

Cette journée-là, le soleil est redoutable. Ils ont décidé d’explorer la rive un peu plus loin qu’à l’habitude. Marguerite s’est coiffée d’un petit bonnet de lin qui protège son visage ; elle a coincé son jupon dans sa ceinture et elle marche jambes nues dans les vaguelettes froides en chantonnant. Lui, il n’a gardé que ses braies et laisse la lumière colorer son torse. Ils portent tous les deux des paniers vides pour ramener les provisions qu’ils trouveront.

Soudain, ils s’arrêtent d’un même mouvement, stupéfaits. À perte de vue devant eux, les vagues roulent, chargées de petits poissons argentés qui jettent partout des éclats de lumière en gigotant. Il y en a des centaines, des milliers, plus encore, au-delà de ce qu’ils peuvent compter ou même imaginer. La plage est recouverte d’une couche de créatures frétillantes ayant échappé à l’élément marin, dessinant un ruban brillant sur le sable.

Cette ode à la vie est tellement magnifique qu’elle ne peut que déclencher l’allégresse. Les deux jeunes gens éclatent de rire. Marguerite tape des mains comme une enfant. Guillaume ramasse un petit poisson et l’examine sous toutes les coutures.

— Cela ressemble fort à une sardine, demoiselle.

— Vous avez raison,

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