[La planète des ouragans 1] rempart des naufrageurs by Serge Brussolo

Auteur:Serge Brussolo [Brussolo, Serge]
La langue: fra
Format: epub
Tags: SF
ISBN: 2265030708
Publié: 1985-01-23T06:26:39+00:00

CHAPITRE X

Lorsque Saba quitta la plage, les anémomètres fredonnaient une chanson excessivement aiguë. Tout au long de la route du retour elle ne croisa que des gens affolés, sangle à la main, qui couraient pour s’amarrer à la plus proche borne d’ancrage. On se bousculait autour des poteaux de ciment, et il était visible que les anneaux surchargés céderaient à la première traction, mais la peur de la bourrasque ôtait toute intelligence aux plus réfléchis. La panique devenant contagieuse, l’adolescente pressa le pas. Irritée par les sucs digestifs de la moule, sa peau lui faisait mal. Son épiderme était déjà rouge, gonflé, et se marbrait de taches blanches quand on y posait les doigts. La chair elle-même avait perdu sa douceur satinée pour prendre une consistance écailleuse annonciatrice de desquamation. Malgré cela elle ne ralentit pas. L’air vibrait autour d’elle et la poussière de la route se soulevait en bouffées comme pour marquer le passage d’une troupe de chevaux fantômes. Dans peu de temps – c’était sûr – Santäl s’emplirait les poumons, tel un nageur qui va plonger, et cette aspiration ne laisserait rien subsister derrière elle.

Un instant Saba fut tentée de faire demi-tour, de rejoindre la tribu des parasites, mais elle lutta contre ce désir comme s’il recelait quelque chose de malsain.

Le ciel bouillonnait, brassant les nuages en crème grise. La bouillie des nuées cloquait, prenait l’aspect d’une soupe trop épaisse qui va bientôt déborder. Saba se mit à courir, dévalant le sentier menant à la plaine. Dans la forêt les bûcherons haletaient en prodiguant quelques derniers coups de scie. Des moines novices les suivaient, badigeonnant à la hâte les troncs prédécoupés au moyen d’un enduit empestant le phosphore. Ainsi les arbres scalpés par la tempête n’en seraient-ils que plus inflammables !

Elle leur tourna le dos et tituba en direction de la maison. David se tenait sur le seuil, guettant anxieusement les alentours. Lorsqu’il la repéra, il lui fit signe de se dépêcher. Elle essaya d’obéir, mais plier les genoux lui faisait de plus en plus mal.

— Nous étions inquiets ! dit le jeune homme en l’aidant à escalader les marches du perron. La tempête va éclater d’une minute à l’autre.

Haletante, Saba se laissa tomber sur les carreaux du hall. Elle vit que Jean-Pierre se précipitait pour verrouiller la porte et tirer les barres de sûreté. Nathalie se tenait assise sur l’un des treuils, Cedric à ses pieds. Judi se mordillait nerveusement l’ongle du pouce.

— Maintenant chacun va regagner sa chambre, ordonna Jean-Pierre sur le ton d’un capitaine qui préside à un naufrage, nous allons être terriblement secoués. Allongez-vous sur vos lits et sanglez-vous au plus juste. Surtout ne restez pas debout, dès que la maison va être aspirée nous serons comme au centre d’un shaker. Restez attachés quoi qu’il arrive si vous ne voulez pas être projetés sur le coin d’un meuble ou vous briser les reins en dévalant un escalier…

Puis il tira une clef de sa poche et débloqua la ceinture de cuir enchaînant Nathalie au treuil.

— Tout le monde en haut ! aboya-t-il.

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