La parabole du semeur by Octavia E. Butler

Auteur:Octavia E. Butler [Butler, Octavia E.]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Quête Initiatique
ISBN: 2277239488
Éditeur: J'ai Lu
Publié: 1999-01-03T23:00:00+00:00

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Quand on aborde une terre inconnue

Savoir avant tout qu’on ne sait rien.

SEMENCE DE LA TERRE : LE LIVRE DES VIVANTS

Lundi 2 août 2027

Voici quelques-unes des choses que j’ai apprises aujourd’hui : la marche est douloureuse. Je n’avais jamais marché assez longtemps pour le savoir. Maintenant, je le sais. Et il n’y a pas que les ampoules aux pieds. Tout mon corps me fait mal. Seul le repos soulage. On est partis tard, ce matin, mais on a dû s’arrêter deux fois pour se reposer. Nous nous sommes écartés de l’autoroute pour nous asseoir, masqués par des buissons, et boire et manger un peu. Puis on est repartis. Les journées sont longues à cette époque de l’année.

Zahra nous a dit qu’on avait moins soif en suçant un noyau d’abricot ou de prune.

— Quand j’étais môme, nous a-t-elle dit, je suçais des fois un petit caillou. N’importe quoi pour ne pas être torturée par la soif. Mais ça change rien : sans eau, on meurt.

Nous avons marché en suçant des graines et ça nous a fait du bien. On n’a bu que lors des haltes dans les collines. Il faut toujours veiller à ne pas prendre de risques.

Il faut éviter de faire du feu mais, ce soir, on a creusé un trou et fait un petit feu. On a pu cuire une bouillie de farine de glands avec des fruits secs. On n’avait rien avalé de chaud depuis notre départ et ça nous a fait un bien immense. Nous serons bientôt à court de vivres et nous devrons vivre de légumes secs, qui restent la denrée la moins chère. La bouillie m’a rappelé la maison.

Il est interdit de faire du feu. Il y en a pourtant des centaines qui brillent la nuit dans les collines avoisinant l’autoroute. La végétation est tellement sèche ici que les risques d’incendie sont très grands. Mais les sans-abri peuvent difficilement se passer de feu. Il permet de cuire les aliments, de faire bouillir l’eau, et procure un sentiment de sécurité, fût-il illusoire.

Pendant que nous mangions et même quand on a eu fini, des gens ont essayé de se joindre à nous. La plupart étaient inoffensifs et on s’en est débarrassés facilement. Il y en a trois qui ont prétendu vouloir se réchauffer. Le soleil n’était pas encore couché et il ne faisait pas froid du tout.

Trois femmes voulaient savoir si deux étalons comme Harry et moi ne se sentaient pas frustrés avec une seule femme. Ça me fait bizarre de passer pour un homme.

— Est-ce que j’pourrais pas faire cuire ma pomme de terre ? nous a demandé un vieil homme en nous montrant une patate ridée.

On lui a donné quelques brandons en l’invitant à aller faire sa cuisine plus loin. C’est fou de devoir vivre ainsi, dans la suspicion. Mais la paranoïa est ici le seul moyen de se préserver. Le danger est réel. Harry voulait qu’on permette au vieux de rester. Zahra et moi avons dû refuser catégoriquement. Comme moi, Harry a été bien élevé, il a toujours mangé à sa faim.

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