La marchande d'enfants by Gabrielle Wittkop

Auteur:Gabrielle Wittkop [Wittkop, Gabrielle]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782843351112
Éditeur: Verticales
Publié: 2003-08-21T22:00:00+00:00

Paris, 20 juillet 1791

Ma chère Louise,

Il fait très chaud et l’on s’évente avec des gazettes pliées. Comme on laisse les fenêtres ouvertes, dès que tombe le soir, une multitude de sphinx, de nonnes, de chimères et d’amiraux vient grésiller dans la flamme des chandelles, qui n’en répandent pas une meilleure odeur.

La semaine passée, un Bel Esprit que nous connaissons seulement sous le nom de Pouf-Pouf est venu chez moi. Ce Pouf-Pouf est des plus frivoles. Il arriva en compagnie d’un petit garçon qui a comme des espèces de jambes, pas du tout de bras, mais quelques doigts embryonnaires sortant des épaules et le visage d’un séraphin. Pouf-Pouf ne l’avait amené que pour me faire voir comment il en use, car, dit-il, loin de vouloir sa perte, il désire au contraire l’emmener à Venise et se l’attacher pour de bon.

Voici donc Pouf-Pouf et son monstre dans la chambre verte. Ce fut là qu’on décida de donner un spectacle destiné à notre propre divertissement, cette pièce étant agrémentée de miroirs. Car pour le petit théâtre privé que j’avais pensé installer dans les combles, il n’y faut plus songer, vu le tour que prennent actuellement les choses.

Pouf-Pouf s’installa au clavecin, un superbe instrument fait à Anvers et gardé en souvenir de Monsieur le chancelier Paillard qui m’en fit don. D’une voix dont la beauté ne le cédait en rien à celle de son visage, le petit garçon chanta en haute-contre plusieurs pièces à la mode, par exemple Adorable Phyllis, Plaisir d’amour, Que sont doux vos chalumeaux et quelques autres. Nous avions déshabillé les enfants que j’ai en ce moment – ils ne sont guère nombreux – et je leur fis former un candide ballet. Ce fut sans art, il est vrai, mais d’aspect extrêmement plaisant. Les enfants s’évertuaient de leur mieux, quittant le clavecin, les mains de Pouf-Pouf s’égaraient de plus en plus, tandis que les miroirs nous renvoyaient des dos plats, des culs pommés, de petits seins à peine éclos, des visages mignons. Ce n’étaient plus six enfants mais cent au moins qui tourbillonnaient, élevaient les bras, faisaient des jetés.

De l’assurance

Sans arrogance,

De la prestance

Mais sans jactance,

La tête droite,

le jarret haut,

Le coude en anse,

Ni peu ni trop…

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