La maison de verre by Pramoedya Ananta Toer

La maison de verre by Pramoedya Ananta Toer

Auteur:Pramoedya Ananta Toer [Toer, Pramoedya Ananta]
La langue: fra
Format: epub
Tags: littérature indonésienne, roman
Éditeur: Zulma
Publié: 2018-11-20T23:00:00+00:00


CHAPITRE 8

Avant l’embarquement pour l’exil de Wardi et d’Edu, j’avais proposé par la voie officielle de les accompagner jusqu’à leur destination et de prendre mes congés européens dans la foulée. Mais mon supérieur ne voulut pas en entendre parler. La pratique du refus, passe-temps du pouvoir colonial, apporte une jouissance singulière à celui qui s’y adonne. Elle lui procure l’impression d’être plus important et plus puissant, ce que je peux comprendre. J’avais déjà éprouvé cette sensation et je la rechercherais sans doute de nouveau. L’oppression, autre facette du caractère colonial, provoque une jouissance plus profonde encore. Moins de six mois après avoir respiré pour la première fois l’air des colonies et séjourné dans leur atmosphère, les Européens issus des sociétés démocratiques prenaient goût à l’interdiction comme à l’oppression et savouraient l’exercice des pouvoirs jadis détenus par les raja qu’ils aimaient tant insulter et vilipender. Sur ce point, je rejoignais la jeune femme de Jepara.

De mon échec en matière de congés, je tirai une connaissance accrue du pouvoir colonial. Exercé par un petit groupe de Blancs avec le soutien de nombreuses factions de métis et de gens à peau sombre, il se manifestait de haut en bas de l’échelle à coups d’interdictions, châtiments, ordres, insultes et injures, tandis que de bas en haut, ce n’étaient que flatterie, soumission et avilissement servile. Je tenais mon rang dans cette hiérarchie et l’on sourira en entendant la réponse que fit mon supérieur à ma requête :

— Le travail s’est accumulé. Il y en a bien trop, Monsieur, et la demande de vous adjoindre un assistant ou un remplaçant n’a pas été retenue. Le travail que vous faites est inédit aux Indes néerlandaises, comprenez-le.

Quelle aberration ! jurai-je entre mes lèvres tout en esquissant un sourire suave et poli. Oui, il se devait d’être suave et poli, ce sourire d’inférieur à supérieur, selon la coutume coloniale qui devait être respectée avant tout. Il répondit lui aussi par un sourire. Le sien présentait un caractère sarcastique qui ne m’échappait pas. « En voilà des exigences, disait-il, de la part de quelqu’un qui ne fait que rédiger des justifications pour arrêter les gens et les exiler ! » Et le mien répliquait : « Vous êtes bien avare de faveurs, vous qui ne faites qu’exploiter mes idées. Si je pars en vacances, vous devrez faire mon travail et vous en remettre à vous-même. N’est-ce pas là le fond du problème ? »

Une semaine, un mois, un an plus tard, telle était la conversation qui se poursuivait à l’intérieur de ma tête. Ma femme était partie, mes enfants aussi. Les remords liés à l’anéantissement du triumvirat de l’Indische Partij ne me hantaient plus. Des bouffées de nostalgie revenaient souvent me troubler, du bon vieux temps où je travaillais parmi les hommes, avec mes semblables, loin de ces maudits dossiers et de la soif de sang et de victimes du gouvernement, de la distance de ces papiers vis-à-vis des êtres de chair et d’os, de leur contenu abstrait, tellement abstrait.



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