La maison brûle by Naomi Klein

La maison brûle by Naomi Klein

Auteur:Naomi Klein [klein, Naomi]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782895967811
Éditeur: Lux ÉDiteur
Publié: 2019-10-04T00:00:00+00:00


Chapitre 8

Qu’on les laisse se noyer! La violence de la discrimination dans un monde qui se réchauffe

Une culture qui accorde si peu de valeur à la vie de personnes à la peau noire ou basanée qu’elle les laisse disparaître sous les flots ou s’immoler par le feu dans un camp de détention ne peut que laisser des pays habités par des personnes à la peau noire ou basanée être engloutis par la mer ou desséchés sous une chaleur torride.

Conférence Edward W. Saïd, Londres, mai 2016

EDWARD SAÏD N’AVAIT RIEN D’UN AMOUREUX DE LA NATURE. Issu d’une famille de commerçants, d’artisans et de professionnels, ce grand intellectuel anticolonialiste s’est un jour décrit comme l’«exemple parfait d’un citadin palestinien dont le rapport à la terre est essentiellement métaphorique». Dans After the Last Sky, recueil de méditations sur des photos de Jean Mohr, il explorait les aspects les plus intimes de la vie des Palestiniens, de l’hospitalité à la décoration intérieure, en passant par le sport. Le moindre détail d’un cliché (la disposition d’une photo encadrée, l’air de bravade d’un enfant) suscitait chez lui un torrent de réflexions. D’un autre côté, lorsqu’il s’agissait d’images d’agriculteurs palestiniens (en train de conduire leur troupeau ou de travailler aux champs), sa sagacité s’évaporait. Quelles plantes cultivait-on? Quelle était la qualité du sol? Celui-ci était-il bien irrigué? Ces photos ne lui inspiraient rien. «Je persiste à n’y percevoir qu’une collectivité immuable de paysans pauvres, affligés et parfois colorés», confesserait-il un jour. Il reconnaissait en avoir une représentation «mythique», qui s’est maintenue.

Si le monde agricole était étranger à Saïd, les gens qui consacrent leur vie à des enjeux comme la pollution de l’air ou de l’eau lui semblaient habiter une autre planète. Dans une discussion avec son collègue Rob Nixon, de l’université Columbia, il a qualifié l’environnementalisme de «complaisance d’écolos gâtés en manque d’une cause juste». Pourtant, quiconque est plongé comme il l’était dans la géopolitique du Moyen-Orient ne peut ignorer l’ampleur des défis environnementaux auxquels fait face cette région très vulnérable à la chaleur, au stress hydrique, à la hausse du niveau de la mer et à la désertification. Un article publié dernièrement dans Nature Climate Change prévoit que, à moins d’une diminution radicale et rapide des émissions de GES, une grande partie du Moyen-Orient «verra ses températures atteindre des niveaux intolérables pour l’être humain» d’ici la fin du siècle. La climatologie ne saurait être plus franche. Néanmoins, les Moyen-Orientaux persistent à considérer la crise écologique comme un enjeu secondaire, voire comme une cause de petits-bourgeois – non pas par ignorance ou indifférence, mais parce qu’ils ont d’autres priorités. Le réchauffement planétaire est une menace grave, seulement ses conséquences les plus terrifiantes ne se manifesteront pas avant quelques années. Ici et maintenant, les gens font face à des problèmes plus immédiats, comme une occupation militaire, des attaques aériennes, une discrimination systémique ou un embargo. Rien ne peut – ni ne devrait – rivaliser avec de telles épreuves.

Saïd avait d’autres raisons de réduire l’environnementalisme à une distraction de petits-bourgeois. L’État israélien a longtemps couvert son projet national d’un vernis vert.



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