La loi du Nord by Maurice Constantin-Weyer

La loi du Nord by Maurice Constantin-Weyer

Auteur:Maurice Constantin-Weyer
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Presses de l'Université du Québec
Publié: 2013-11-15T00:00:00+00:00


Pendant toute l’étape de ce jour-là, je broyai du noir. Je suis d’un tempérament optimiste et sanguin, à mon ordinaire. Il est peu de difficultés qui m’effraient, peu de dangers que je redoute. Et dans des circonstances ordinaires, un voyage comme celui que nous entreprenions ne m’aurait pas fait peur. J’ai dit : « Circonstances ordinaires. » Celles-ci étaient extraordinaires, parce qu’elles étaient, en quelque sorte, illégales. Certes, je m’étais cru bien affranchi de la morale courante. Les gens dont c’est le métier de s’affronter à la nature sont plus enclins à une certaine forme d’héroïsme qu’à la sainteté… Mais, il y avait Dalrymple.

Dal représentait pour moi à la fois la Loi et l’amitié. Vous croyez peut-être qu’un coureur du Nord fait bon marché de la Loi ? Cela peut être vrai pour certains chenapans. Mais, parce qu’on est un homme rude et endurci, on peut n’en avoir pas moins un vieux fonds de respect pour les choses, peut-être les moins respectables. La conduite de Robert et de Jacqueline me semblait toute normale. Dès le début, j’avais, moi, absous le crime passionnel. J’avais applaudi à l’évasion, j’avais été irrité, indigné, révolté par les gens qui prétendaient appliquer au cas Robert Shaw les règlements sur les « indésirables ». Or, il m’apparaissait tout à coup combien les chemins qui s’écartent de la Loi sont tortueux, et comment ils rejoignent vite le précipice.

Le temps que nous perdrions à nous ravitailler en gibier, Dal l’emploierait à nous rattraper. Il avait des chiens que je connaissais, ayant une forte goutte de sang Airedale, ce qui leur donnait un nez singulièrement fin, capable de flairer des traces vieilles de trois ou quatre jours sous vingt centimètres de neige. Nous étions, certes, Shaw, Jacqueline et moi, trois bons marcheurs, assez bien entraînés et à qui le désir de l’évasion portait des ailes… Mais Dal ! Ce gars du Warwickshire était râblé, tenace et mordant comme un chien terrier. Une fois notre piste prise, il y avait peu d’apparence qu’il la lâchât. Il avait l’avantage sur nous tous d’être seul. Avantage qui n’apparaît pas au premier coup d’œil, au contraire ! mais qui n’en est pas moins grand. L’homme seul est fort, parce qu’il n’a qu’une volonté. Si uni que fût notre trio, si discipliné aussi, comment atteindre la rapidité des réflexes d’un homme seul ? Et puis Dal pouvait s’imposer des privations et des fatigues que nous ne pouvions pas, que nous ne devions pas exiger de Jacqueline. Les chances étaient de son côté.

Que Dal nous tombât dessus un jour prochain, avant que nous ayons atteint la région des glaciers, où – je partageais l’opinion de Shaw – nous reprendrions l’avantage sur lui, je n’avais que trop de raisons de le craindre. Un homme de la Police royale du Nord-Ouest ne lâche jamais sa proie. C’est une règle absolue. On accomplit sa mission, ou l’on meurt à la tâche. « I’ll die in the attempt » n’est pas un mouvement oratoire. Ces gars-là ne sont pas beaux parleurs.



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