La joie by Bernanos Georges

La joie by Bernanos Georges

Auteur:Bernanos, Georges [Bernanos, Georges]
La langue: eng
Format: epub
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


II

– La grande chaleur m’est funeste, avoua tristement M. de Clergerie.

Presque invisible au fond du fauteuil de molesquine, il agitait de droite à gauche une main mourante. Il tamponnait, de l’autre, à petits coups, d’un morceau d’ouate imbibé d’éther, sa cuisse nue. À travers les volets clos, un rayon de soleil vint luire au dos de M. La Pérouse essuyant avec une gravité sacerdotale la mince aiguille de platine. Une tristesse absurde pesait sur les choses.

– N’est-ce pas ? reprit l’historien, déjà inquiet.

L’illustre psychiatre tourna vers lui, lentement, son visage triangulaire, où les deux pommettes luisent d’un éclat suspect.

– Funeste est un bien gros mot, cher ami, fit-il. À peine supposerais-je une infection légère. Ne vous en plaignez pas ! L’infection légère nous immunise contre de plus graves, en favorisant la multiplication des anticorps, si précieux. La santé n’est qu’une chimère. Ce vocable introduit dans nos hypothèses la notion d’équilibre, de beauté. Or j’estime qu’un biologiste, un médecin qui travaille avec l’illusion d’une sorte d’harmonie universelle ne fera jamais que des sottises. En effet la vie n’a ni méthode, ni principes, rien qu’une ignoble obstination. Pour un résultat de néant, voyez ce qu’elle gâche !

Il éleva les bras, ouvrit et ferma les mains comme s’il brassait une matière molle et gluante, avec une frénétique grimace de la bouche, déjà imperceptiblement déviée. M. de Clergerie s’efforçait de rire.

– Allons, allons ! maître, cher ami... Lorsque tant de malheureux vous bénissent ! À quoi bon vous calomnier ? Quelle amère plaisanterie !

Mais La Pérouse recommençait de pétrir et de malaxer une boue invisible :

– Je suis un chaste, reprit-il de la même voix douce, rêveuse... je suis un chaste comme beaucoup de laborieux, Balzac, Zola. Le désir empoisonne le sang du commun des hommes. Que voulez-vous ? On peut prendre les choses en long, en large, de biais, il n’y a jamais qu’un enchaînement de saloperies !

Il s’arrêta net, rougit et fourra brusquement les mains dans ses poches, afin de cacher sans doute ce léger tremblement des doigts, signe tragique qui, depuis des mois, n’échappait plus aux internes de son service.

– Je ne vois pas... non ! je ne vois pas ! répétait M. de Clergerie avec un accent plaintif.

Il sentait obscurément la déchéance, chaque jour plus profonde, désormais irrémédiable, de l’extravagante et puissante nature dont il avait si longtemps subi l’ascendant. Mais il n’eût pas encore osé renier en face le sorcier bienfaisant, maître des angoisses et des obsessions, auquel il avait remis son âme. Les paradoxes écumants, les contradictions tour à tour féroces ou naïves, ces injures obscènes, et jusqu’à ces cris de douleur, n’était-ce pas comme les ruines éparses de dix volumes d’observations cliniques irréprochables et de généralisations assez hardies pour avoir retenu un moment l’attention des sages ? L’œuvre tout entière avec le coûteux et trompeur arsenal bibliographique, ses tables, ses schémas, ses statistiques, était sortie sans doute des ruminations d’un adolescent timide et chimérique, incapable de surmonter les terreurs, les envies ou les dégoûts de la puberté.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.