LA GUERRE DES MOUCHES by Jacques Spitz

LA GUERRE DES MOUCHES by Jacques Spitz

Auteur:Jacques Spitz
La langue: fra
Format: epub


En dépit de la gravité des circonstances, la publication de ce rapport provoqua une universelle explosion de rires. L’intelligence des mouches devint le sujet de toutes les plaisanteries. Les revuistes, les dessinateurs humoristes, les amuseurs de table d’hôte se trouvèrent en présence d’une mine inépuisable de bons mots et d’allusions. Le Canard enchaîné se battait les ailes de joie. L’Académie de l’humour décerna à Juste-Évariste Magne le titre de président d’honneur. Un dessin de Jean Effel figurait un magnifique et mélancolique étron, avec cette légende : « J’attends l’intelligence. » « Ne me parlez plus de vos pattes de mouche, disait la moderne Sévigné dans un billet à Angèle, je vous soupçonnerais de fatuité. » En Allemagne, une école de peinture pointilliste prétendit que ses tableaux étaient faits par des chiures de mouches intelligentes et inégalement constipées. Bref, on n’en finissait pas de rigoler.

Les gens graves blâmaient la Société des Nations d’avoir pris au sérieux pareil document :

— Si tel est l’usage fait de ses fonds par la Société, mieux vaut subventionner les pêcheurs de truites, déclara le président du Guatemala en refusant de payer sa quote-part à l’organisme de Genève.

Les reporters s’en mêlèrent et allèrent interviewer les hommes de science sur le nouveau sujet à la mode :

— Je connais bien Magne, répondit le professeur Carnassier, ce fut mon élève, puis mon adjoint. Mais, voyez-vous, instinct, intelligence ne sont que des mots qui ne changent rien aux réalités. Et si les mouches sont devenues intelligentes, j’ai grand-peur que ce soit aux dépens des entomologistes…

Le professeur Grimaud de la Vachardière, directeur du Muséum, haussa les épaules en réponse à la question des journalistes, et déclara en montrant ses galeries de reptiles empaillés :

— L’intelligence des mouches, j’y croirai quand je serai derrière ces vitrines, et que je verrai la Musca assise dans mon fauteuil.

Farigoule, le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, fourragea dans sa barbiche, avant d’en sortit, avec une voix de vieux phonographe, ce petit laïus :

— Certes, la science a besoin d’hypothèses, mais les hypothèses ne sont pas la science. N’oublions pas que la prudence est non seulement la mère de la sûreté, mais aussi celle des savants, et qu’il convient de se garder des pronostics hâtifs autant que des jugements prématurés.

» Les grandes ombres de Lagrange, de Fresnel et de Poincaré ne me démentiraient certes pas.

Le docteur Prévert, vice-président de l’Académie de médecine, fut plus incisif :

— Ce jeune M. Magne veut sans doute faire parler de lui, je ne me prêterai pas à ce petit jeu intéressé…

D’autres journalistes, lassés de frapper chez les grands hommes, poursuivaient leur enquête auprès de l’homme de la rue. Le premier interviewé fut une femme :

— Vous savez, moi, les mouches, ça se portait sous Louis XVI, je crois.

Un jeune collégien du lycée Henri-IV répondit :

— Elles ne gueulent pas encore quand on leur coupe les pattes.

Et Evangélyne Piédebanc, salutiste, déclara :

— Toute créature de Dieu, intelligente ou non, a droit à notre amour.

— Que chacun se fasse donc une opinion, disait, pour conclure son article, le reporter.



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