La grève en France : une histoire sociale (XIXe-XXe siècle) by Stéphane Sirot

La grève en France : une histoire sociale (XIXe-XXe siècle) by Stéphane Sirot

Auteur:Stéphane Sirot
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Odile Jacob
Publié: 2017-05-14T16:00:00+00:00


« Juché sur des échasses comme un berger landais, un jeune postier barbu dominait la foule des drapeaux rouges. Sur son ventre ballottait une pancarte où l’humour rencontrait comme souvent la réalité : “Les revendications des postiers, ça n’est pas du folklore.570 »

Au tournant des années 1980-1990, des conflits du secteur public et hospitalier portent une conscience peut-être encore plus aiguë de l’utilité d’une appropriation médiatique de la rue par une mise en scène festive. À partir de 1986, les défilés « deviennent de plus en plus colorés, fumigènes des cheminots, ballons et drapeaux quadrichromes des enseignants. Chansons et slogans rivalisent de créativité571 ». L’éclosion des coordinations en 1986-1992 favorise cette tendance. Pour réussir et renforcer leur légitimité face aux directions syndicales, elles doivent s’appuyer sur des modalités d’action qui s’écartent des sentiers battus : bouleverser l’ordre habituel des cortèges, leur conférer une dimension apparemment plus désordonnée et enjouée participe de cet impératif. À l’hiver 1987, les instituteurs organisés en coordination créent une commission qui prend en charge l’aspect festif des manifestations. On défile en chantant, au son des tams-tams, de l’accordéon, tandis que « de véritables saynètes [se] jouent, mettant en scène l’instituteur, le ministre, le “maître-directeur”572 ». Ce sont là typiquement des actions « pour et par les médias573 », dont l’objectif est d’ « agir sur le pouvoir politique par l’intermédiaire de la presse, produisant un “prêt-à-perçu” qui sera d’autant mieux reproduit par la presse qu’il répond aux attentes des journalistes574 ». Et comme l’expriment des jeunes grévistes d’Air France interrogés en 1988 sur le sens de leurs manifestations-spectacles, outre la nécessité de jalonner l’action de moments de détente capables de « joindre l’utile à l’agréable », leur volonté est de donner à l’extérieur une bonne image d’eux-mêmes575.

Cette médiatisation festive semble devenue une manière d’être des cortèges revendicatifs. Les grèves de novembre-décembre 1995 portent de manière emblématique ces traces de joie à la fois naturelle et organisée, mélange de l’inventivité des salariés en action et de la tradition syndicale du cortège manifestant : « La présence traditionnelle de slogans chantés », mais aussi « des camions sono syndicaux », est doublée « d’orchestres improvisés autour des sifflets, des trompettes […] des bidons transformés en tambours576 ».

Le slogan désormais célèbre de ce conflit, « Tous ensemble », témoigne d’une manière de plaisir retrouvé de la lutte en commun, d’une convivialité peut-être un temps suspendue. Mais il signale sans doute aussi la volonté désormais si forte de croiser la bienveillance, le soutien du public, touché ici dans ses déplacements quotidiens et dont l’approbation est nécessaire face à la détermination de l’adversaire. C’est plus généralement un trait fort de ce troisième âge de la grève : la solidarité de la population est clairement réclamée. Cela peut aller jusqu’à lui demander un appui actif. Elle est parfois appelée à marcher aux côtés des grévistes pour leur exprimer sa sympathie et montrer à la partie opposée la solidarité participante dont ils disposent. Cette situation se rencontre en particulier lors des « conflits de pays ».



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