La greffe du printemps - Les fils d'Avrom Tome I by Ikor Roger

Auteur:Ikor, Roger [Ikor, Roger]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature Française
Éditeur: Manon123 - TAZ
Publié: 2012-05-15T22:00:00+00:00

III

Yankel prit un morceau de sucre, le cala entre ses dents et fit glouglouter dessus une gorgée de thé. Le sucre se désagrégeait en granules, en sable qu’entraînait le liquide brûlant ; sous les dents, le morceau s’évidait. Une autre gorgée : d’un coup, disloqué en fragments durs, le morceau de sucre fila dans la bouche. Hmm ! c’est bon, ce mélange d’eau parfumée et de graviers sucrés qui y roulent sans fondre ! Avec satisfaction, Yankel fit claquer sa langue. Puis, souverainement, il promena ses regards autour de lui.

Il s’était réservé l’un des côtés de la table carrée, celui qui, étant le plus proche de la cheminée, tenait lieu de haut bout. Face à lui, le dos au vide, il avait installé son frère cadet Péretz et sa sœur Rachel, en posture d’accusés. Son second frère, Moïsché, n’avait pas attendu d’invitation pour occuper le troisième côté, à gauche du maître de maison ; ce gaillard en prenait vraiment à son aise, et se tenait honteusement mal, vautré, les coudes sur la table et le menton dans la main. Toutes les deux minutes, Yankel lui jetait un regard irrité, mais l’autre n’en avait cure. Quant au quatrième côté, celui de droite, personne ne le disputait à Hannê. Elle était en train de donner le sein au petit Simon ; elle n’en oubliait pas pour autant le thé et à chaque instant se levait, allait à sa cuisine, en revenait, le bébé pendu à sa mamelle : une femme qui allaite, c’est sacré, et le sein de Hannê ballottait à l’air libre, en toute innocence.

Quelques jours plus tôt, Péretz, Moïsché et Rachel avaient débarqué du pays. Naturellement, ils logeaient chez Yankel (on se débrouille toujours, non ?) ; et celui-ci se réjouissait à la pensée que bientôt peut-être toute la famille serait rassemblée autour de lui. Ils étaient déjà quatre ; ne restaient plus là-bas, outre le père et la mère, que la sœur aînée Sarah et le benjamin, le petit Itchê, qui avait dans les neuf ans (car si le vieil Avrom avait engendré treize enfants, sept étaient morts en bas âge). Alors pourquoi, pendant qu’on y était, ne pas achever la transplantation de toute la souche Mykhanowitzki ? Depuis peu, le sens de la famille se développait dans l’âme de Yankel ; une famille, ce n’est pas fait pour se disperser aux quatre coins de l’univers, non ? mais pour vous tenir chaud dans un monde hostile. Avec orgueil, il imaginait ses vieux parents venant chercher asile auprès de lui, le fils aîné, le soutien de famille ; quant à Sarah, qui était mariée, pourquoi n’arriverait-elle pas aussi, avec époux et enfants ? Il avait les reins solides, on pouvait s’appuyer sur lui !

Il était justement en train de caresser ce beau rêve quand Péretz, bégayant d’émotion, lui annonça son intention, à lui et à Rachel, d’aller chercher fortune plus loin. Et où ça, je vous le demande ? En Amérique, là-bas, derrière les mers ! À l’autre bout

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