La Fille by Eric Marty

La Fille by Eric Marty

Auteur:Eric Marty [Marty, Eric]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Seuil
Publié: 2015-01-14T17:00:00+00:00


XII

La fille-femme

* * *

Le lundi matin, très loin pour ma mémoire d’enfant du dimanche de la veille, je retrouve Claudie. Lui aussi est pâle, comme moi, la veille, en rentrant de chez M. Schwul, comme ma mère sous les néons de la cuisine dans sa blouse bleue. Il tient ses bras contorsionnés. Ses mains disparues sous sa petite capeline grise.

C’est curieux comme Claudie change facilement de physionomie, je ne dis pas d’un jour sur l’autre – c’est beaucoup plus courant qu’on ne le croit, et c’est même presque la règle –, mais d’un instant à l’autre, comme si ses humeurs modelaient son visage jusqu’à en modifier l’identité profonde. Ce matin, c’est un petit garçon de huit ou dix ans qui m’attend sur le trottoir. Fragile comme un garçon, sans la souplesse, la lascivité, l’énergie de la fille qu’il est, et qu’il sera à nouveau, peut-être, dans quelques minutes, ou bien, car rien n’est systématique, ce soir, ou encore demain.

Il est plus fille encore, plus fille que fille, le soir, quand nous sortons de l’école et que je le raccompagne vers chez lui, au village haut, derrière l’église, que nous nous arrêtons au tournant du petit lacet qui interrompt un moment la montée de l’allée des Noyers et que nous nous asseyons, un peu à l’écart dans l’herbe mouillée, derrière les épineux. Depuis quelques semaines, presque chaque fois à cet endroit, j’assiste à une autre métamorphose de Claudie, non plus celle du petit garçon en fille, mais celle de la fille en femme.

Claudie a sorti un très joli petit sac du lourd cartable que je lui porte le plus souvent, surtout dans la montée. Un sac de cuir noir, en trapèze, avec un mécanisme d’ouverture doré, deux courtes ailes de papillon qui se croisent, et sur lesquelles il suffit s’exercer une infime pression avec le pouce pour qu’il s’ouvre, ou plutôt pour qu’il s’entrouvre, grâce à d’ingénieuses petites baguettes métalliques elles aussi dorées, cousues dans le cuir, qui, de l’intérieur, interdisent ces gestes trop brutaux, sans élégance, sans douceur, par lesquels une main épaisse et sans âme y pénétrerait trop violemment pour le fouiller, ou même un de ces regards indiscrets et qui, d’un coup d’œil, voudraient savoir ce qu’il y a à l’intérieur. Claudie ouvre son sac, ou plutôt donc il l’entrouvre, je jette un œil rapide, glissant, vif comme de l’eau vive, mais je ne vois pas grand-chose. Un mouchoir en dentelle, le bouchon métallique d’une petite bouteille de parfum… Je respecte profondément l’intimité du sac à main de Claudie. Lorsque commence la cérémonie, c’est elle qui s’agace un peu de l’étroitesse de l’ouverture où elle se pince parfois, de sorte qu’elle sort tout de suite son trésor et le pose sur une pierre plate devant moi sans plus aucun interdit. Il se compose systématiquement de quatre objets. Un flacon de parfum doré, un crayon pour les yeux, une petite boîte ronde de porcelaine qui contient un tampon qui sert à se poudrer le visage, et un rouge à lèvres.



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