La fabrique de l’émancipation by Bruno Frère & Jean-Louis Laville

La fabrique de l’émancipation by Bruno Frère & Jean-Louis Laville

Auteur:Bruno Frère & Jean-Louis Laville [Frère, Bruno & Laville, Jean-Louis]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions du Seuil
Publié: 2022-09-08T22:00:00+00:00


S’il importe de ne pas congédier le passé en considérant trop vite que certaines pratiques ont été des échecs, il est également nécessaire de ne pas renvoyer le changement à un futur hypothétique. C’est pourtant ce dont est coutumière la tradition critique. Même Fraser, soucieuse des avancées démocratiques, cède à ce penchant quand elle évoque des lieux de travail, des crèches ou des communautés résidentielles qui « seraient des espaces à la fois de formation de l’opinion et de prise de décision » ; ils « représenteraient des espaces de démocratie directe ou quasi directe » dans lesquels « tous ceux qui seraient engagés dans l’entreprise collective participeraient aux délibérations pour déterminer sa conception et son fonctionnement »15. Persuadée de leur bien-fondé, elle emploie le conditionnel, comme si de tels lieux ne pouvaient réaliser leur potentiel caché que dans l’avenir. Elle trahit en cela la réticence, résiduelle chez elle, mais constante dans toute la théorie critique et la philosophie sociale, à se plonger dans le déroulement même des actions qui cherchent à construire du sens commun. Les expérimentations démocratiques existent déjà. Leurs trajectoires méritent d’être restituées et leurs ambiguïtés peuvent devenir un enjeu de réflexion collective. Elles s’avèrent plus éclairantes qu’un vague appel à la participation dans un avenir indéterminé. C’est du moins ce que nous voudrions défendre en reprenant les exemples cités par Fraser. Attardons-nous d’abord sur les deux premiers, les lieux de travail et les crèches.

Pour ce qui est des lieux de travail, les coopératives procurent un bon exemple d’entreprises dans lesquelles le pouvoir de décision échappe aux détenteurs de capitaux. À ce titre, elles sont soit encensées pour leurs acquis, soit vilipendées pour leurs déboires. Certains toutefois prennent la peine de les observer et d’en présenter les ambivalences. Ainsi Erik Olin Wright, lorsqu’il parle de Mondragon, l’un des plus grands complexes coopératifs du monde, se tient à distance de toute condamnation comme de tout enchantement. Indéniablement, il croit et tient à la coopérative. Mais il ne nie pas les tensions qui la traversent : les entretiens avec des membres sur la stratégie internationale montrent que la direction est « plutôt hostile à l’encontre des syndicats qui se sont formés au sein de ses filiales16 ». De plus, en 2007, parmi les cent mille travailleurs du conglomérat « un peu moins de 40 % » possèdent « le statut de propriétaires membres », les autres étant des « employés ordinaires »17. « L’assiduité » des membres aux assemblées générales « demeure relativement modeste », ce qui pousse les détracteurs à arguer que « la technostructure domine en réalité les procédures décisionnelles »18. Au-delà du cas de Mondragon, l’horizon d’une « économie de marché coopérativiste19 » qui serait la somme d’unités de production autogérées est obscurci de longue date par d’autres recherches. Celles-ci ont amplement illustré comment des coopératives ont vu la mobilisation s’effondrer en raison de la distance entre l’ampleur du changement annoncé et la réalité vécue par les travailleurs. L’affaiblissement consécutif de l’engagement interne est particulièrement perceptible



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